édito 2o17

De jouissive asphyxie . . ou de sobre ataraxie ?

Nous ne sommes pas lucides, c’est neurophysiologique, bien que nous pensions fièrement le contraire, ça aussi c’est neurophysiologique. «L’esprit, autant qu’il le peut, s’efforce d’imaginer ce qui augmente ou aide la puissance du corps.» dit Spinoza et il ajoute «quand l’esprit imagine ce qui diminue ou contrarie la puissance d’agir du corps, il s’efforce, autant qu’il peut, de se souvenir de choses qui en excluent l’existence.» Maurice Merleau-Ponty souligne finement ce caractère entre tautologie et aporie : «On ne voit que ce qu’on regarde.». Autrement dit, nous préfèrons voir ce que nous croyons, plutôt que croire ce que nous voyons (Cf. Stanislas Dehaene, etc.). La précaution nous protège des leurres et des chimères, certes, mais elle installe nos idées préconçues telles des oeillères, autant nos truismes que nos fantasmes et nos dénis.

Pour comprendre le réel tel qu’il est, sans se laisser tromper par la réalité telle qu’on se la raconte, on doit s’armer d’une certaine neutralité axiologique et élaborer des modèles explicatifs, non pas pour s’en conforter, mais pour les mettre à l’épreuve de l’expérience effective. Alors, mais alors seulement, qu’elles nous plaisent ou non, des vérités se dévoilent à travers le brouillard confus et glauque des inepties des sots mêlées aux boniments des corrompus. Que se passe-t-il vraiment ? Que retenir d’essentiel dans ce qui se révèle effectivement ? L’anthropocène thermocarbonique est-il amorcé ? Qu’en disent les lois de la physique et les études anthropologiques ?

La physique confirme deux principes validés dans l’infiniment petit du subatomique quantique comme dans l’infiniment grand du cosmologique relativiste. L’un est celui de la conservation de l’énergie. L’autre est celui de la croissance inéluctable de l’entropie. Il est faux de dire qu’on produit ou qu’on consomme de l’énergie. Ce qu’on appelle «énergie», par abus de langage, n’est que la puissance d’agir qu’on tire de la transformation de la matière en détournant à notre profit une partie de l’entropie libérée (Cf. Nicholas Georgescu-Roegen). Ce qu’on appelle «énergie» n’est alors in fine que la quantité de travail récupérée. Ce qu’on appelle «déchets» sont les résidus inutiles qu’on désigne aussi du vocable «externalités» pour mieux les écarter des bilans comptables, surtout lorsque ces «externalités» sont inopportunes ou dommageables.

Pour vivre, maintenir nos 37°5, nous dresser et nous mouvoir, en un mot entretenir notre homéostasie, nous devons chaque jour ingérer environ un kilo de matières alimentaires. Au total, pour soutenir toutes nos activités, notre corps digère ainsi de quoi dispenser une quantité de travail quotidienne d’environ 2,5 kWh. Par suite, nous abandonnons quelques déchets, ordures, détritus, etc. Nous dispersons de la chaleur, expirons du gaz carbonique et déposons de-ci de-là, cahin-caha, une quantité variable d’excréments liquides, solides et gazeux. Par extension, car ce ne sont-là que des extensions de notre corps, nous entretenons notre milieu extérieur, notre habitat, nos outils, nos machines, notre économie en général, et pour ce faire nous canalisons une part de l’entropie que nous détournons du souffle du vent, du flux des cours d’eau, de l’attraction de la pesanteur, du rayonnement solaire, etc. Depuis peu, nous en détournons aussi, et en masse, par combustion de la biomasse, fossilisée ou non (bois, charbon, gaz, pétrole, etc.), et in fine par fission des liaisons nucléaires d’atomes lourds instables.

Là plus encore, nous rejetons inévitablement moulte catabolites, toujours encombrants, souvent polluants, triés ou non, compostés ou non, recyclés ou non, rebuts, décombres, rognures, jus, débris, gadoues, emballages, gravats, outils obsolètes, machines brisées ou en panne, molécules et agents chimiques xénobiotiques, effluents disparates, gaz à effet de serre, nanoparticules intrusives, une quantité considérable de fuites ou d’écoulements secondaires, plus ou moins chimiquement combinés ou dégradés, etc., ainsi qu’une quantité non négligeable et extrêmement dangereuse de matières radioactives durablement délétères (quand bien même ces dernières sont peu volumineuses et en majorité durablement confinées).

Pourquoi brûlons-nous tant de fossiles carbonés ? C’est tout simple. Un litre de carburant explosé dans un moteur de rendement moyen procure 10 kWh, c’est-à-dire le travail de 4 hommes-jours dispensables en beaucoup moins de temps et pour beaucoup moins cher (Cf. Hans-Peter Dürr, Ivan Illich, Jean-Marc Jancovici, etc.). Alors, d’abord magique, la potion se fait très vite nécessaire, puis indispensable. Un tel booster économique, quasiment gratuit, est si performant et miraculeux que, libéralisme aidant, il devient vite addictif.

Du milieu du XIXe jusqu’à la fin du XXe, ce dopage énergétique propulsait ce qu’on appelait le Progrès. Techniquement, il transformait les chevaux en automobiles, les boeufs en tracteurs, les voiliers en paquebots, les locomotives en avions, etc. Dans le même élan décollaient les fusées, plongeaient les sous-marins, croisaient les porte-avions, s’impesantaient les satellites et les stations orbitales. Armstrong aurait-il marché sur la Lune s’il n’avait disposé que du moteur à vapeur chauffé au bois ou au charbon ?

Psychologiquement, en dessérant l’étau des servitudes ordinaires pour le plus grand nombre, ce dopage libérait l’esprit, invitait à la curiosité, à la réflexion, à l’oisiveté, aux arts perçus et conçus, à la relation aux autres, proches ou étrangers. Socialement, il invitait à abolir l’esclavage, à déserter les campagnes et à bâtir les villes, améliorait l’hygiène, généralisait l’éducation, la culture, et par suite le rêve démocratique lui-même, fût-ce très inégalitairement. C’était un Progrès technique et social, indéniablement, mais pour partie et pour un temps seulement. C’était un progrès pervers, car désormais le coût réel des externalités négatives ne peut plus être négligé tant il est collossal et funeste. C’était un progrès obreptice, car désormais l’addiction à la puissance d’agir n’a plus d’égal que l’intolérable souffrance et le gigantesques désordre qu’entraînera tout sevrage. Spinoza ne dirait pas autre chose : l’homme a beau s’efforcer, autant qu’il peut, d’exclure de son imagination les dégâts de ses addictions, sa puissance d’agir augmente tellement sa puissance de s’autodétruire qu’il ne peut plus en exclure ni l’évidence, ni l’imminence.

En temps géologique, l’humanité brûle en quelques décennies ce que le rayonnement solaire et la gravité combinés ont accumulé en plusieurs centaines de millions d’années. Un tel ratio s’appelle une « déflagration ». Nous qui la vivons au ralenti, la considérons comme une simple consommation nourricière, digérée par combustion pour l’essentiel et dont les déchets sont expulsés à même le biotope, dans l’eau potable, dans l’air respirable, dans la mer nourricière, etc., en considérant bêtement que ces espaces fermés sont infinis. Alors nos déchets s’infiltrent partout, imprègnent, perfusent, infusent, jusqu’au plus profond de nos corps, de nos équilibres endocriniens, hormonaux et cellulaires. Tel est le hiatus entre le réel tel qu’il est et la réalité telle qu’on se la raconte. Alors que la biosphère s’embrase en vase clôt en se saturant de déjections toxiques, l’humanité incontinente se gave et s’enivre de puissance en se faisant dessus. Pour remédier, par impossible, à cette faille cognitive collective mortifère il est au moins nécessaire, fût-ce ou non suffisant, d’en comprendre les fondements anthropologiques.

L’anthropologie confirme nombre de considérations déjà énoncées par nombre d’observateurs depuis des siècles. « En tant qu’ils sont déterminés par leurs affects respectifs, les hommes ne peuvent pas convenir en tout » (Cf. Baruch Spinoza). Ils conviennent cependant quelques fois en ceci qu’ils ont des affects communs, mais si et seulement si ils ne s’écharpent pas pour le reste. Ce qui est manifeste pour le groupe social l’est également pour chaque individu, et pour cause. En tant qu’ils sont déterminés chacun par leurs histoires respectives, phylogénétiques et ontogénitiques, les affects de chaque individu s’efforcent non sans mal de convenir en un même être cohérent, même s’il n’y parviennent qu’au terme de longs tourments existentiels ; quelques fois même n’y parviennent jamais vraiment. C’est ainsi que, devant la complexité de son monde, le propre de l’homme, individuellement et collectivement, est moins l’insuffisance de son entendement que son incohérence et ses contradictions. Malheureusement pour lui, le propre de l’homme est aussi de croire fièrement que son entendement est pétri de raison (Cf. Emmanuel Kant), et pire encore depuis peu, que sa brillante et magistrale intelligence est computable.

Bête il l’est en effet, il est même le seul animal qui refuse de se reconnaître comme animal (Cf. Boris Cyrulnik), c’est dire. Mais ce n’est là qu’un des symptômes de sa schizophrénie (du grec schizein qui signifie le fractionnement, et phrèn qui désigne l’esprit). Le conatus humain (Cf. Baruch Spinoza), son élan vital (Cf. Henri Bergson), est mu par deux tropismes concurrents, plus ou moins adverses et à la fois plus ou moins coopérants. Les taoïstes appelaient ces deux catégories le Yin et le Yang (Cf. Laozi, Zuangzi, etc.), dégageant à leur interstice la Voie du souffle vital. Les hindouistes, moins elliptiques, les personnifiaient en de nombreux dieux et déesses, plus ou moins fabuleux ou excentriques, parmi lesquels Brahma le créateur et Shiva le destructeur, difficilement arbitrés par Vishnu (Cf. Abhinavagupta, Sri Aurobindo, etc.). Deux capacités que les grecs, ô combien déjà anthropologues, avaient plus clairement encore identifiées en termes de propensions, d’appétences, ou d’instincts, en les nommant le logos (ou l’epistêmê, le discours de la raison) et la tékhnê (le savoir-faire technique). C’est cette schize fondamentale qui engendre toutes les autres non moins dialectiques mais surtout non moins stupidement dualistes : le corps et l’esprit, l’inconscient et le conscient, l’instinct et le jugement, la passion et la raison, le sensible et l’intelligible, etc.

Ce dont nous prenons conscience très mollement, après quelques millénaires d’aveuglements obscurantistes suivis d’à peine un siècle d’éblouissements rationalistes guère moins aveuglants, c’est que la puissance d’agir de l’homme, sa tékhnê créatrice-destructrice, déborde sa faculté de penser, son logos directeur-protecteur, d’où devrait émerger sa raison raisonnable et raisonné. Quel débordement ? La schizophrénie de l’homme se manifeste en ceci que sa tékhnê s’enfle d’un hubris si spontanément proactif, inventif et téméraire, qu’il surprend toujours son logos laborieusement réactif, pondérateur et précautionneux.

L’homme fait très souvent ce qui est possible, parce que c’est possible, bien avant de faire ce qu’il faut, sans faire tout ce qu’il faudrait. Il peine par conséquent à se gouverner avec discernement, en un mot éthiquement. Il faut ajouter à sa charge que cette schizophrénie, notoire individuellement, s’accroît exponentiellement quand elle s’exerce en groupe, excitée par les jeux des grégarités et des rivalités, tout particulièrement quand les affects communs d’émulation puis de compétition s’enflent des affects individuels d’exploit et de récompense, puis de gloire et de cupidité.

Les affects communs portés par l’émulation, puis la compétition, sont alors plus prompts à se coaguler dans l’abus qu’à se fédérer dans la pondération. Le droit de propriété « usus fructus abusus » exacerbe la concurrence en prédation. A peine l’homme désire-t-il que déjà il capture ; à peine il investit, déjà il spécule. C’est le sens du Protagoras de Platon qui diagnostique les pathologies prométhéennes de l’homme. C’est ce qui sourd du principe d’imperium de Spinoza comme facteur aggravant et désespéré des jeux des corps sociaux auto-affectés par leurs affects communs (Cf. Spinoza, Frédéric Lordon, etc.).

N’en déplaise à Rabelais, la science sans la conscience annonce des catastrophes bien pires que la seule ruine de l’âme. Le déterminant physique premier que Max Planck pensait à juste titre plus fondamental que l’espace-temps lui-même est celui mal compris d’ « entropie », véritable cause première d’une autre non moins incomprise notion, la « flèche du temps » (Cf. Ludwig Boltzmann, etc.). L’entropie ne faisant que croître dans l’univers en expansion, se multiplient nécessairement avec elle, dans notre étriqué biotope, les scénarios de disruption entre la puissance d’agir de l’homme et sa capacité à réfléchir. Ce processus-là est déterministe, plus l’homme est puissant plus sa bêtise se fait systémique, plus son monde est sophistiqué plus il est fragile (Cf. Bernard Stiegler, etc.). On ne compte plus les scénarios potentiels d’autodestruction de la biosphère sous les effets enzymatiques de la puissance d’agir organique et thermodynamique de l’espèce humaine. On ne se dispute guère, entre nous hommes-enzymes, que sur leurs probabilités relatives de surgissement chronologique et tout aussi vainement et futilement sur leurs imputations. A elles seules les menaces écologiques et géopolitiques engendrées par les externalités négatives de nos profondes addictions aux ressources fossiles suffisent à garantir l’effondrement irréversible et chaotique de notre espèce et ce, à une échéance beaucoup plus proche qu’on ne veut bien feindre de le croire (Cf. Dennis Meadows, Paul Jorion, Pablo Servigne, etc.).

Non, le bouleversement climatique n’est pas ce lent réchauffement linéaire dont les dégâts corrélatifs ne sont promis que pour plus tard, mais bien cette brutale transformation chaotique déjà enclenchée, d’ores et déjà irréversible, et dont les symptômes sont aussi manifestes que niés. Il faut ajouter à cette certitude refoulée toutes les autres menaces non moins impérieuses et non moins potentiellement disruptives, violentes et létales, toutes catalysées par autant de délires technicistes prothétiques, fantasmagoriques ou extravagants, qu’ils soient physiques, chimiques, biologiques, thermodynamiques, électromagnétiques, algorithmiques, etc. Faut-il se consoler avec les geeks en rêvant que l’humanité agonisante restera connectée pour compter les scores et distribuer, à titre posthume, leurs dividendes aux investisseurs du cloud et à leurs audacieux capital-risqueurs ? Le bonheur ultime ne sera-t-il pas alors d’être pour l’éternité le plus riche et glorieux oligarque du cimetière possédant à lui seul la quasi totalité des concessions louées à tout jamais à tous les autres macchabées ?

Dans ses conditions, même en alliant l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison,  on ne peut que craindre une fin de l’humanité indigne et monstrueuse. Pour comprendre les agitations, les convulsions et les abominations géopolitiques contemporaines, il faut au moins avoir compris les leçons de la théorie des jeux quant à la situation dite « du dilemme du prisonnier ». Dès qu’un partenaire perd confiance dans les bénéfices escomptés de la coopération, alors il joue personnel par anticipation et gagne seul en trahissant (Cf. John von Neumann, Robert Axelrod, etc.). Qui est toujours le grand gagnant d’une bulle boursière ? Le premier qui vend sa position en faisant éclater la bulle. Qu’est devenue l’économie mondiale des ressources naturelles si ce n’est une énorme « pyramide de Ponzi », la plus grosse bulle spéculative jamais formée par le détournement de l’investissement en spéculation et la dérive de la coopération en compétition ?

L’histoire de l’humanité s’écrie désormais selon un scénario de guerre de gangs entre toxicos et dealers, dans un monde clôt et délabré où les toxicos dealent en sous-main et les dealers se shootent non moins. La facture affiche les coûts colossaux de nos externalités négatives, addictions et gaspillages confondus, et pour ce solde-de-tout-comptes nul doute que dealers et toxicos ne sont plus enclins à coopérer. Il est manifeste que l’ultime conflagration géopolitique pour le contrôle des réserves et des approvisionnements en ressources naturelles énergisantes et dopantes a déjà commencé depuis longtemps. Cette 3ème guère mondiale qui ne dit pas son nom, se joue désormais sur un mode de moins en moins coopératif entre alliés et de plus en plus brutal entre puissances concurrentes. C’est-à-dire selon la loi du plus fort, celle dont la fin justifie les moyens, au sens les plus sauvages et odieux des termes.

«Jusque là tout va bien !» disent encore ceux qui se narcissent l’ego sur les estrades des grand-messes ou sur les plateaux de talk-show en proférant autant de résolutions solennelles qu’un junky invité au sevrage (Cf. COP21).

Insouciant ou cynique, négligent ou fataliste, narcissique impénitent et plus que jamais schizophrène incurable, l’homme procrastine en aimant se raconter qu’il disposera toujours de solutions géniales et innovantes pour réparer ses bêtises géniales et innovantes, et par là-même refusera toujours d’abdiquer de sa démesure géniale et innovante. Sa fin est là pourtant, imminente. Il l’a nie parce que, bien qu’elle soit indubitable, elle n’est ni planifiée ni scénarisée par ses clercs, donc d’autant plus piteusement refoulée. L’humanité s’étouffera-t-elle d’une overdose de ses déjections ou implosera-t-elle dans les affres du manque ?

Pendant quelque temps encore, les hommes se disputeront entre ceux qui souhaitent instaurer une frugalité écoresponsable durable, la plupart parce que leur vie est déjà austère ou exsangue, et ceux qui ne pensent qu’à s’éclater ici et maintenant dans un dernier trip mégajouissif, la plupart parce que leur vie est déjà grassement roborative et richement jubilatoire. A l’heure des débats politiques, ce sont les sobres écologistes qui passent pour des conservateurs archaïques parce qu’ils s’accrochent à un humanisme désuet, et les jouisseurs techno-productivistes qui passent pour des révolutionnaires audacieux quand ils caressent le rêve d’une immortalité transhumaniste post-organique. Cherchez l’erreur !

La bonne question n’est pas de savoir selon quelle mise-en-scène la fin se dénouera ; le dernier qui s’en ira n’aura pas même le loisir d’éteindre la lumière (Cf. Paul Jorion). Elle n’est pas non plus de savoir quand. Jouer à la roulette russe pour parier sur le nombre de coups à vide avant le dernier létal est stupide. La bonne question, s’il en est encore une, est de savoir si ce qui lui tient encore lieu de logos permettra enfin à l’humanité de se gouverner « éthiquement », faisant de sa tékhnê un moyen et non une fin, pour la transcender et la sublimer telle une epistêmê de la science en conscience. La seule bonne question est la pénultième :

L’humanité saura-t-elle disparaître en-deçà ou au-delà de l’horizon fuyant de sa dignité ?

jef Safi


Post-scriptum :

Pour autant qu’un tel dessein ait un sens, peut-on encore tenter d’agir avec discernement pour infléchir et accompagner la transition écologique selon un protocole plus éthique que celui, indigne et inhumain, d’ores et déjà suivi ? Peut-on encore travailler, fût-ce trop tard, à minimiser les souffrances et les tourments du plus grand nombre ? A chacun de s’interroger. Suis-je un écosophe endurant ou un jouisseur compulsif ? Il n’y a pas de solution solitaire, il faut choisir soigneusement un « plusieurs » efficient. D’aucuns, colibristes (Cf. Pierre Rabhi, Pablo Servigne, etc.), professent qu’il faut résister au niveau local, groupusculaire, etc., sans attendre. Ils ont raison, mais n’auront de résultats que locaux et minuscules aussi longtemps que pléthore d’autres groupuscules, solidaires et non rivaux, ne s’y seront pas universellement joints en puissance et acte, or le temps presse. D’autres – mais n’est-ce pas le même rêve ? – militent pour attendre patiemment le grand soir de la prise de conscience coordonnée et concomitante de tous les opprimés de la Terre. Eux aussi auront éternellement raison d’espérer, aussi longtemps qu’ils attendront Godot (Cf. Samuel Beckett).

Une possibilité intermédiaire s’ouvre en 2o17 pour les citoyens de France. Ce peuple puissant de son histoire universaliste peut espérer faire école sur son continent et au-delà. Malheureusement, sa 5e république se décompose, se putréfie, et ce n’est là qu’un euphémisme. Au fil du temps, ses règles par trop corruptibles ont corrompu ses joueurs en proportion directe de ce qu’on leur accordait d’impunité et en proportion inverse de ce qui leur restait d’intégrité. De facto, l’arbitre, à savoir l’état et ses institutions, n’arbitre plus depuis bien longtemps. Des trois pouvoirs institutionnels, le législatif n’est plus représentatif, le judiciaire démuni peine à demeurer indépendant tout en saturant les prisons, quant à l’exécutif il prend parti, se dédie, n’écoute que les conseils de ses think-tanks privés, et ne gouverne guère que les castings et la communication des écuries électorales. La gouvernance effective de la vie des citoyens dans la cité et au travail, est pour partie sous-traitée à deux autres pouvoirs privés, aussi intrusifs que non-institutionnels, ce sont les pouvoirs financiers qui fatiguent les corps et les pouvoirs médiatiques qui barbouillent les cerveaux. Deux pouvoirs parasites monopolisés par une petite caste d’oligarques, en compétition économique implacable entre eux, mais alliés dès qu’il s’agit de corrompre les arbitres publics.

A quelques idiosyncrasies près, ce qu’on vit en France est semblable à ce qui se joue dans nombre d’états du monde. Dans ces nouveaux jeux économiques néolibéraux, en perte de règles et d’arbitres, croissent l’arrogance des profiteurs, la colère des perdants et des exclus, montent les violences des frustrés, se multiplient les arnaques des tricheurs parmi les prédateurs comme parmi les proies, etc. Fatalement les inégalités se creusent jusqu’à l’obscénité, les tissus sociaux se déchirent depuis les moindres tiraillements promiscuites jusqu’aux plus monstrueux conflits géopolitiques, des enclaves fleurissent et s’élargissent, des groupuscules se terrent ou assassinent, des peuples migrent par force, d’autres les refoulent ou les malmènent, des truands prospèrent, des mafias de rues et de palais métastasent, etc.

Ce n’est là qu’un enseignement trivial de la théorie des systèmes : les défaillances des systèmes sociaux sont moins imputables aux individus corrompus qu’aux règles corruptibles avec lesquelles ils jouent. La relation est moins causale que systémique et dès lors s’aggrave entropiquement. Les règles du jeu devraient toujours relever en dernier ressort des peuples, c’est-à-dire de ceux sur qui s’exercent les pouvoirs qu’ils ne contrôlent pas ou plus. Aussi longtemps qu’ils ne changent pas ces règles, fût-ce en renversant la table, les peuples se soumettent aux despotes qu’ils suivent d’abord . . puis à la longue qu’ils méritent (Cf. Étienne de La Boétie).

L’entropie croît (Cf. Nicholas Georgescu-Roegen) et s’accélère. La fièvre monte et le discernement décroît. Les archaïques xénophobes et fascisants gonflent leurs muscles, les réseaux politico-mafieux mobilisent leurs barbouzes, les frileux réactionnaires se cramponnent à leurs liturgies racornies, les petits bourgeois ventripotés comptent leurs bakhshish en tremblant, les libertariens peaufinent leurs trompe-l’oeil mignons aux yeux des éblouis ballots, et les romantiques libertaires attendent toujours Godot. La république est sur la ligne de crête, à chaque instant tout peut s’effondrer d’un moindre événement détonateur, fortuit ou non, incongru ou adéquat, fomenté ou contingent.

Une politique de transition éthique sera celle qui créera les conditions de possibilité d’un partage écoresponsable et équitable des pertes et des profits effectifs. Une telle transition ne pourra pas être seulement écologique, elle devra aussi et indissociablement être sociale, en un mot être écosocialiste. Une politique d’autant plus périlleuse qu’il était beaucoup plus simple de mal partager le trip du shoot de croissance que de bien partager désormais les affres du manque par sevrage, surtout partant d’une situation honteusement inégalitaire. Quand bien même plusieurs points sont discutables (sous-estimation de la force d’ancrage des structures addictives, axiomatique et prospective naïves du scénario NégaWatt, sous-estimation des puissances réactionnaires installées, sous-estimation des aliénations et incorporations consuméristes et panoptiques, incontrôlabilité des affects primaires grégaires et rivaux, etc.), le programme de la France Insoumise est le seul à partager l’essentiel des diagnostics ci-dessus, écologiques et anthropologiques, et à proposer des mesures à même d’instaurer une 6e République plus vertueuse que la précédente. Et pour cause !

Assurons d’urgence la consistance et la stabilité de notre triptyque si discrédité et si malmené : LibertéEgalitéFraternité, en l’arrimant à l’exigence de Dignité. Mais . . il ne suffira pas de partager l’insoumission qui vient, il ne suffira pas d’élire JLM, il ne suffira pas d’attendre que la Constituante constitue et que l’homme providentiel providencie, il ne suffira pas d’une simple transition de mix énergétique, il ne suffira pas d’accompagner le sevrage sans coercition ni substitution, il ne suffira pas d’un seul mandat, il ne suffira pas d’une seule nation, . .

 » . . contrairement à ce qui se passerait avec n’importe quel autre Président élu, une élection de Mélenchon ne serait pas la fin du processus mais le début. Début d’un processus qui passerait nécessairement par des mobilisations de rue extrêmement intenses ! … Hollande c’était pire que Sarkozy parce que c’était la même politique mais avec l’anesthésie en plus ! On a vaincu la malédiction du penthotal ce printemps (Cf. #NuitDebout). C’est là aussi le signe d’un quinquennat historique. … Je pense que le camarade Mélenchon, s’il se retrouve au pouvoir et qu’il a vraiment l’intention de joindre le geste à la parole, va se retrouver confronté à une adversité formidable. C’est que le capital, en 30 ans, a pris ses aises et qu’il n’a pas du tout l’intention de se laisser barboter toutes les libertés qu’il a conquises et toutes les aises qu’il a prises. Il faut bien se rendre compte de ce que c’est que rentrer en confrontation avec le capital. Ce sont des batailles épiques (Cf. Syriza, Podemos, etc.) … face à toute une technostructure hostile. Les institutions sont beaucoup plus fortes que les individus, elles les absorbent par phagocytose, et elles les re-normalisent. En 2 années c’est fait. Alors aussi bien pour le protéger que pour le surveiller, il faudra que l’élection ne soit que le début d’un processus politique d’une toute autre ampleur qui passera nécessairement par des mobilisations populaires. » ( Frédéric Lordon – Là-bas si j’y suis – o1/2o17 )

Les inserts vidéos ci-dessus sont une sélection des épisodes que nous jugeons significatifs et les analyses que nous estimons pertinentes de la période. Il s’agit d’un point de vue ouvert à la critique i.e. au « débat aussi objectif et raisonné que possible, écartant l’autorité des dogmes, des conventions ou des préjugés, auquel on soumet quelqu’un ou quelque chose pour mieux en appréhender les caractéristiques, y compris un jugement des qualités et des imperfections ». Pour une sélection plus ample et plus profonde et pour ne rien perdre de ce qui vaut d’être lu et entendu (de notre point de vue), vous êtes invités à parcourir les contenus qu’indexe le bloc-note Entropy ≥ Memory * Creativity ² . ./. .