Etymologie des « SAFi » (inventaire des langues)

L’hypothèse proto-linguistique des « SAFi »

Notre patronyme DÉZAFIT n’est qu’une variante orthographique parmi d’autres. Plusieurs étymologies sont proposées. Selon monsieur DESAPHY (cf.  Geneanet), il pourrait s’agir d’un toponyme, celui du lieu-dit les « Affis ». Selon Jean-Pierre DESAPHIS (cf. Généalogie des afis), nos patronymes partageraient la racine « affy »  (l’affiance, la confiance, l’assurance).

Pour ma part j’explore ici une autre hypothèse, celle de la francisation du patronyme « zaffit » (zafi, zaffy, zaffit, etc.) prononcé avec le « Z » affriqué. La racine du patronyme ne serait ni le toponyme « fief » , ni la racine latine « fidere », mais la racine « SaF » qu’on retrouve dans de nombreuses langues. Ces pages se donnent pour projet d’inventorier les langues dont le lexique comprend des mots formés sur le phonème SaF, SouF, SeF’, SiF, Sapf, Sap’, etc., dès lors que ces mots gravitent autour des mêmes significations.

Au fil de mes investigations émerge une surprise, confirmée aujourd’hui grâce la richesse des lexiques disponibles sur internet. À quelques nuances et variantes près, malgré leur érosion multimillénaire inéluctable, les vocabulaires formés sur le phonème « SaF » portent les mêmes significations, par de nombreux sèmes, dans de nombreux lexiques de différentes langues et dans différents systèmes d’écriture. Une telle fréquence avec une telle distribution ne peut pas être une simple coïncidence, elle est manifestement le symptôme de la dispersion d’une racine ancestrale commune. En somme, nous voilà à la recherche de traces d’un proto-langage.

Au coeur de cette surprise proto-linguistique émergent plusieurs sèmes à la fois distincts et néanmoins voisins, qui semblent avoir évolué ensemble à différentes époques et en différents lieux. L’inventaire de ces différents usages vernaculaires permet-il d’entrevoir, parmi eux, le ou les sèmes initiateurs qui engendrèrent ces co-évolutions sémantiques si proches, jusqu’à nos jours ?

Pour tenter une réponse, j’effectue un inventaire des principaux sèmes récurrents du phonème « SaF » dans les Langues où ils sont lexicalisés, et j’évalue le poids de chacun de ces sèmes dans chacune de ces langues. Enfin, en m’appuyant sur les connaissances historiques établies (archéologiques, anthropologiques, ethnologiques, etc.), j’esquisse une histoire plausible du ou des sèmes initiaux des phonèmes de la forme « SaF » qui entraînèrent avec eux tous ces sèmes voisins dans leurs lexiques respectifs. Telle est désormais mon hypothèse . .

Phonème -> Sème -> Lexique -> Langue


Phonème : Le phonème est la plus petite unité discrète que l’on puisse isoler par segmentation dans un propos, dans une une chaîne parlée de sons (mot, nom, expression, phrase, etc.). Le phonème est reconnaissable par son « son » sans avoir nécessairement par lui-même de signification. ZAF ou SAF sont des phonèmes que l’on reconnaît dans la construction de mots.

Sème (ou Lemme) : Dans le vocabulaire usuel on l’appelle le « mot ». En linguistique il désigne un Lemme, une entrée du Lexique d’une Langue. En sémantique, le Sème est l’unité minimale de signification. En tant qu’entrée du Lexique d’une Langue, il peut être traduit par l’entrée correspondante d’une autre Langue.

Lexique : Le lexique d’une Langue est l’ensemble de ses « mots » ou plus précisément en linguistique l’ensemble de ses Lemmes. Les mots d’un lexique forment un tout qui évolue au fil du temps. Les rapports entre les mots, rapports de forme et de signification, sont évolutifs et très divers.


La culture du SAFRAN
aux environs de – 5000 ans

Le safran, l’épice spécifique tirée de quelques variétés sélectionnées de Crocus sativus, est cultivé et travaillé depuis 3 à 5000 ans en Crête par la civilisation minoenne en premier lieu, en Grèce, puis dans tout le bassin méditerranéen jusqu’au Moyen-Orient. Dans l’Egypte ancienne, les vertus médicinales du safran sont décrites dans le papyrus Ebers (source de la phytothérapie datant de 1550 av.JC). Le safran y possède(?)rait son propre hiéroglyphe et est cité dans de nombreuses formules médicinales. On trouve des traces antérieures à 5000 av.JC parmi les vestiges archéologiques d’activités humaines mais sans savoir si ces traces relèvent d’une véritable culture du safran au-delà de la simple cueillette des crocus.

On connaît trois espaces linguistiques dans lesquels le nom de l’épice se lexicalise sans qu’on puisse établir une chronologie certaine entre eux. L’histoire des langues et des écritures sera toujours un brouillard difficile à dissiper lorsqu’on approche des origines millénaires. Par ailleurs, en matière d’archéologie, on sait que la chronologie des traces n’est pas nécessairement la chronologie des faits, elle n’en est que la plus probable à un stade donné des recherches et des études. Par ailleurs encore, la chronologie des langues n’est pas non plus la chronologie des activités humaines qu’elles révèlent.

Linear B tablets Np 85 from the Room of the Chariot Tablets (a) and Np 856 from the North Entrance Passage (b) at Knossos. The saffron ideogram is highlighted in yellow (after Day 2011a:374, Fig. 2 and 375, Fig. 3). 

I – Le nom est d’abord probablement lexicalisé en Minoen (sans trace attestée, Linéaire A non déchiffré) et en Assyrien (aujourd’hui Irak, Iran, Syrie, Egypte, Turquie), puis en Egyptien (??) et enfin en Persan  : [zâfarān] , de sorte que زعف [zâf] est le premier phonème (Z non affriqué, A long, F final court) répertorié en Persan qui structure les sèmes relatifs au Safran et par suite à tout ou partie des sèmes voisins en Persan (Farsi).

II – Le nom apparaît aussi en Arabe (Chronologie relative toujours débattue entre les langues proto-sémitiques. Le persan n’est pas une langue arabe mais indo-européenne, même s’il en adopte l’écriture), de sorte que le phonème صاف [sâf] (S fricative alvéolaire sourde, A long, F final court) est le premier phonème du lexique Arabe qui dérive du mot safran زعفران [zʿfrạn] et qui structure tout ou partie des sèmes voisins en Arabe

III – Le nom apparaît également en Grec sans que l’on sache s’il est antérieur ou postérieur au persan [zâf] et à l’arabe [sâf]. Il peut revendiquer son antériorité en ceci que la culture du Crocus aurait débuté en Grèce et en Crête, mais ce n’est pas suffisant pour conclure. Le nom Grec du safran est ζαφορά [zaphora] ou σαφράν [saphran], construit sur le phonème σαφ [saph] du Grec ancien σαφής [saphḗs], mais s’appelait-il ainsi lorsqu’il était déjà cultivé avant sa lexicalisation en Grec ? Il fut sans doute précédé par son nom Egyptien et/ou plus tôt encore par son nom en langue minoenne (-2700, Linéaire A, langue encore très mal déchiffrée d’une communauté mercantile, industrieuse et agricole, développée sur les îles de Crête, de Santorin et sans doute quelques autres autour de la mer Egée).

Le Safran est utilisé comme assaisonnement, parfum, teinture, médicament, etc. Dans chacun de ces espaces linguistiques, les significations directes et indirectes du lexique lié au Safran sont naturellement liées aux caractéristiques tangibles et pragmatiques du produit lui-même. Le vocabulaire relatif au Safran exprime donc en premier lieu sa couleur, sa saveur, sa pureté mais aussi ses vertus culinaires, cosmétiques, prophylactiques, etc.

S’il est « clair » et « net » que le phonème et le sème initiateurs que nous cherchons sont ceux du SAFRAN, il est plus difficile en revanche d’en situer le lieu de naissance et l’âge. Outre le Grec, le Persan et l’Arabe dont nous connaissons les lexiques d’aujourd’hui, il faut aussi considérer leurs prédécesseurs historiques à savoir, le Minoen, le Grec ancien, le Copte et l’Egyptien. Sans qu’on puisse aisément les départager chronologiquement, ce sont probablement en premier lieu le Minoen et le Grec, en second lieu le Copte et l’Egyptien, et probablement un peu plus tard le Persan et l’Arabe.

Historiquement, le Grec, le Persan et l’Arabe sont probablement précédés du Minoen dont les traces écrites sont toujours indéchiffrées et l’Egyptien dont je cherche toujours le ou les hiéroglyphes propres au Crocus et au Safran (si ils existent), ou plus encore leurs écritures hiératiques (qui existent sûrement). Quelques recherches en perspectives . . ?


L’invention du SAVON
aux environs de – 3000 ans

L’étymologie communément admise du Savon est le latin saponem [sāpōnem] qui désigne « le mélange de suif et de cendre utilisé par les Gaulois pour rougir les cheveux » (cf. Wikipédia). Le latin sapo, dont saponem est l’accusatif singulier, serait un emprunt au germanique saipôn, au vieil haut allemand seifa ou seipfa, à l’allemand Seife et à l’anglo-saxon sāpe, d’où l’anglais soap.

Tout cela est convaincant dans le champ restreint de l’Europe et de l’histoire contemporaine, mais très insatisfaisant si l’on considère que le Savon existe depuis beaucoup plus longtemps et de beaucoup plus loin. Quelles peuvent être ses racines antérieures, très antérieures ?

S’il n’y avait dans le mot Savon qu’une simple coïncidence phonologique avec le phonème SaF, l’hypothèse d’une proximité avec le Sème Safran serait abusive. Mais à bien y regarder, les affinités sémantiques du Savon et du Safran sont plus tangibles qu’il y paraît de plusieurs points de vue, au point même qu’il est difficile d’en évaluer leur chronologie relative. Le Crocus était sûrement connu des hommes avant la découverte des vertus du Savon, mais qu’en est-il de la culture du Safran ?

Du point de vue de la physique-chimie.
La recette du savon est connue depuis des millénaires. Il s’agit de former un composé amphiphile par réaction chimique entre une « base » et un « corps gras ». Pour les sumériens (région de Babylone), le Savon n’est pas réservé à l’hygiène mais au nettoyage et au traitement des laines et des cotons. Cette pratique est attestée dès les premières dynasties d’Egypte (cf. Papyrus Ebers). Le Savon est aussi un produit domestique d’hygiène de la maison, du linge, il est donc naturellement associé au vocabulaire du Sème « propre », « net », « clair », « nettoyer », « lessiver », etc.

Du point de vue cosmétique, prophylactique et sanitaire.
Avec les égyptiens, et peut être même avant eux avec les Minoens, les vertus du Savon passe du domestique au cosmétique. Les papyrus font référence à une somme de prescriptions médicales dans lesquelles l’hygiène tient une place centrale. Le Savon est là encore un produit qu’il est naturel d’associer au vocabulaire du Sème « propre », « soigné », « pur », « purifier », « récurer », etc., et donc également au morphème « SaF » (voir en Arabe, en Hindi, en Gujarati, etc.).

Et puis, d’un point de vue « ludique », comment ne pas « se frotter les mains » en découvrant que le Safran est un très ancien additif des savons. Une légende souvent répétée raconte que Cléopâtre parfumait ses bains avec du Safran pour ses vertus cosmétiques bien entendu, mais aussi pour ses vertus aphrodisiaques. Il est fort probable que les minoennes l’avait précédée de quelques siècles.


Le commerce du SAPHIR
aux environs de – 2000 ans

L’étymologie communément admise du mot Saphir, largement rabâchée en Europe et dans le monde anglosaxon, affirme que le mot dérive du latin sapphirus, du grec σαπφειρος [sappheiros] ou de l’hébreu סַפִּיר [sappir]. Curieusement, personne ne commente la manifeste similitude des phonèmes Saph ou Sapph pour en déduire que tous ces lemmes héritent nécessairement d’un même phonème initial. Tout au plus, d’aucuns suspectent une référence commune au Lapis-lazuli, gemme connu depuis des millénaires dans tout le moyen-orient et au-delà à l’est comme à l’ouest, mais sans observer que dans tous ces pays, le lapis-lazuli tout comme le Saphir portent d’autres noms.

Pour y voir plus « clair », il faut examiner la géologie, la géographie et l’histoire du Saphir. On remarque en premier lieu que les premiers gros gisements sont relativement rares. On cite principalement le Cachemire, la Birmanie, le Sri Lanka, la Thaïlande, le Cambodge, comme les gisements les plus importants. On en ajoute quelques uns, plus tardifs, secondaires en qualité et en quantité, en Australie, aux US, au Brésil, en Malaisie, en Tanzanie, et même en France (près du Puy-en-Velay).

On observe que les gros gisements sont les premiers à avoir été découverts dès l’Antiquité c’est-à-dire aux environs de -3000 (av. J.-C.). On observe aussi que ces premiers gisements ne sont pas situés dans l’espace des langues sémitiques et indo-européennes, ils sont plutôt les riverains de l’océan indien, depuis la Tanzanie à l’ouest jusqu’à l’Australie à l’est, en passant par les gisements de la péninsule indienne du Sri Lanka au sud au Cachemire au nord.

On observe également que dans leurs pays d’origine, le Saphir ne s’appelle pas Saphir. C’est le नीलम [neelam] en Hindi, le નીલમ [nilama] en Gujarati, ou le نیلمنی [nilmani] en Ourdou, etc. En Birmanie il est le နီလာ [nelar]. Au Sri Lanka il est le නිල් මැණික් [nil maenik] en Cingalais, ou le நீலம் [nïlam] en Tamoul. On notera avec intérêt les évidentes similitudes phonologiques de tous ces noms pour un même gemme autour d’un même phonème.

Il faut donc admettre que l’étymologie en Sap, Saph ou Sapph, communément rabâchée en Europe et dans le monde anglosaxon, n’est qu’une étymologie locale, « après coup », attribuée à un Gemme venu d’ailleurs et qui portait déjà ses propres noms. On comprend mieux alors la similitude des phonèmes Sap, Saph ou Sapph (voir ci-dessus) si on admet que tous ces lemmes dépendent d’un même commerce qui adopte dans un même espace un même nom pour un même Gemme importé (chacun évidemment avec quelques nuances phonologiques, orthographiques ou grammaticales).

Reste à poser la bonne question. Pourquoi le commerce de ce Gemme a-t-il choisi un nom en Sap, Saph ou Sapph dans l’espace méditérannéen, Perse, Grec, jusqu’au Moyen-Orient ? On peut supposer que les propriétés du Saphir autant que ses vertus fabuleuses ou imaginaires n’y sont pas pour rien. En Perse, en Grèce, au Moyen-Orient arabisant ou non, le vocabulaire partagé depuis mille ans est disponible pour chanter ces propriétés et ces vertus.

Le Saphir est « pur », « clair », « limpide », « lisse », « raffiné », etc., il est « poli » (par polissage) pour les Perses, il peut être « cristallin » صاف [Sâf] pour les arabes et même أَصْفَر [ṣafrā] « jaune » ou « ambré » (*). On prête au Saphir les vertus prophylactiques et même spirituelles attribuées par les égyptiens au déjà connu Lapis-lazuli. Il guérit les maux de yeux, il protège le voyageur de la peste et des blessures, il détourne la foudre, il procure la paix et la prudence, etc.

(*) – Tous les saphirs ne sont pas bleus. Leur couleur dépend de la concentration d’atomes de métaux se substituant aux atomes d’aluminium tel que le fer, le titane, le vanadium, etc.


Les traditions du SOUFISME
600 . . 700 (après J.-C.)

Parmi les diverses étymologies largement évoquées du terme « Soufi », les plus fréquentes et plausibles sont les suivantes :

  • L’homme vêtu de laine (صوف : [ṣūf] ), selon Ibn Khaldoum, signe de pauvreté et de modestie. L’étoffe de laine qui permet de nettoyer, filtrer, purifier, etc., يصفي [yṣafy].
  • L’homme qui a été purifié [sûfiya], l’homme pur et simple [Sawaf] صرف, vertueux par sa clarté et sa pureté, [ṣafā’] صفاء . .
  • Les gens du banc [ahl aṣ-ṣuffa] أَهلُ الصُّفَّةِ qui prient matin et soir à la mosquée . .
  • Les gens du rang [ahl aṣ-ṣaff] أَهْلُ اٌلصَّفِّ , du premier rang, élite de la communauté . .
  • L’éponge douce [nạʿm ạ̹safanj] اسفنجة ناعمةtel le cœur pur et réceptif du soufi . .
  • . ./. .

Quand l’ordre des Soufis est fondé au sein de l’Islam, le phonème « Saf » est déjà largement lexicalisé depuis des millénaires, il n’est pas surprenant alors que la quête d’une « âme vertueuse » s’empara du vocabulaire de la « pureté », étendue depuis longtemps au-delà de son champ « domestique », au champ cosmétique et prophylactique, et désormais au champ ésotérique, mystique et spirituel.