édito 2o12

le congetture di Arlecchino

Joël : Arlecchino, c’est toi ?

Jef Safi : Il s’était déjà immiscé plusieurs fois dans plusieurs de mes images avant que je réalise que c’était moi, en effet. Je ne l’ai pas cherché, c’est lui qui m’a trouvé.

Joël : En somme, tu (il) es entré dans ses (tes) images par effraction ?

Jef Safi : Exactement. Par mise en scène paranoïa-critique dirait Dalí. J’avais déjà eu envie de m’incorporer dans mes images, Guattari et Deleuze diraient plus justement « de m’y re-territorialiser », mais je ne l’avais jamais fait avec des prises de vue réelles. Et puis Arlecchino s’est imposé et depuis on s’invite mutuellement dans nos images, au gré des occasions.

Joël : Pourtant tu t’auto-portraitures quelques fois, par ombres portées, ou par reflets dans des miroirs !

Jef Safi : C’est vrai, mais ce sont des jeux, des images où la mise en scène absorbe et digère l’auto-portrait dans autre chose. Une exception pourtant : le double auto-portrait dans un rétroviseur de rue. C’est une image en fenêtre-miroir ; je voyais Arlecchino là dès la prise de vue, au bord de la mare-miroir au canard.

Joël : D’où sort-il ? Pourquoi lui ?

Jef Safi : Il est une part de moi, mais comme extérieure à moi. C’est paradoxal, c’est tout lui ça. Un caneton ahuri, éberlué, sidéré plutôt (c’est la sidération que je cherche pour lui le plus souvent), indéterminé entre le jouet flottant pour gosse et le joujou vibrant pour dame, la plupart du temps aux couleurs d’Arlequin. Quelque fois, pour différentes raisons, il s’impose sous d’autres formes. Souvent en caneton, ou en d’autres anatidés ; quelques fois partiellement, les pattes, le bec, le squelette ; ou symboliquement, par exemple sous les traits de l’automate digérateur de Vaucanson, ou du canard-lapin de Jastrow, etc. Quelques fois en Arlequin lui-même, par accessoires ou personnages interposés empruntés à un peintre, etc.

Joël : Canard, Jouet, Gode, Arlequin, Squelette, Automate, l’image est plutôt brouillée, assez confuse, fumeuse même, non ?

Jef Safi : C’est sûr, c’est moi et mes polymorphoses chanterait Dick Annegarn, à la manière des ’pataphysiciens. C’est ’pataphysique au sens où tout est égal ; non qu’il faille se foutre de tout mais, bien au contraire, mais que tout vaut qu’on y porte intérêt. J’ai mis du temps à démêler cette polymorphose. Chaque fragment de cet agencement d’énonciation a sa raison d’être. Mon vrai « moi » n’est jamais l’expression d’un seul d’entre-eux, mais chaque fragment joint aux autres constituent un « moi » qui me ressemble de l’intérieur.

Joël : Pourquoi le canard ?

Jef Safi : Avant d’en connaître les symboliques, j’avais un compte à régler avec . . coin-coin. Je ne savais pas encore parler que la grâce de mes premiers pas m’avait déjà valu d’être affublé de ce surnom. Les enfants sont cruels entre-eux, a fortiori s’ils y trouvent la complicité de leurs parents. De la taquinerie à la rosserie, la palette des motivations vindicatives est plus étendue souvent que le vocabulaire lui-même, alors tel était mon surnom. Je l’ai traîné longtemps, partout, jusqu’à l’entendre même quand il n’était pas prononcé, jusqu’à le voir dans le regard du Grand-Autre, les pions, les profs, les camarades, les filles.

Joël : Règlement de compte ?

Jef Safi : Non, plus à mon age, la vie est trop courte. C’est sur moi-même que j’ai encore du travail à faire. Toute mon éducation rigide, religieuse, étriquée, faisait de moi un enfant inhibé, timide, sans confiance. Alors « faire le canard » était une ligne de conduite faute d’être une ligne de fuite. La norme était au « faire profil bas », à « ne pas faire de vague », surtout pas. J’ai longtemps « fais le canard » ainsi, trop longtemps. Le mot récurrent des adultes c’était : « réservé » ; c’est savoureux a posteriori, non ? C’était vrai finalement, j’étais sur la réserve. Règlement de compte ? Non, mais plutôt anamnèse ou extériorisation cathartique, c’est la même chose. J’ai ré-adopté le caneton pour qu’il affirme d’autres caractères, pour qu’il brise les bocaux dans lesquels on a voulu l’enfermer et libère d’autres signes, qu’il devienne l’enfant libre qu’il a toujours rêvé d’être.

Joël : Quels sont ces autres caractères ?

Jef Safi : La symbolique psychanalytique colle assez bien. Le Canard n’est ni le Phoenix, ni le Simorgh, c’est un oiseau terrestre, un non-immortel. Il peut être sauvage ou domestique, mais sauvage ce n’est pas un grand prédateur, et domestique il n’est qu’un oiseau de basse-cour. Le canard est un inadapté au monde des terriens, à l’image du vilain petit canard méprisé et rejeté comme élément inférieur par son milieu mais qui, le temps aidant, peut dépasser ce milieu. Il est balourd, lent et pataud sur terre, mais c’est en s’éloignant de la basse-cour, en redevenant vraiment sauvage, qu’il se révèle aisé sur et sous l’eau, et élégant dans les airs.

Joël : Les eaux et les airs, deux milieux souvent extérieurs l’un à l’autre.

Jef Safi : « Un petit poisson, un petit oiseau s’aimaient d’amour tendre. Mais comment s’y prendre quand on est dans l’eau … mais comment s’y prendre quand on est là-haut … ». Peu d’animaux sont aussi aisés dans l’air que dans l’eau. Certes il y a tous les amphibiens, mais ils ne volent pas. Aux extrêmes, du coté des poissons, l’exocet est plus un surfeur sauteur, qu’un poisson véritablement volant. Du coté des oiseaux, quelques espèces seulement sont de grands nageurs-plongeurs, et les canards, les anatidés, sont de celles-là. Pour les Indiens de la Prairie, en Amérique, c’est ce qui fait de lui un guide infaillible, parce qu’il est aussi à l’aise dans l’eau que dans le ciel.

Joël : Le guide infaillible ce n’est pas très loin de l’ami fidèle !?

Jef Safi : C’est en extrême orient que la symbolique du canard met en avant la fidélité, en couple surtout. Dans l’iconographie japonaise du XVe par exemple, le mâle et la femelle y apparaissent nageant ensemble. C’est une image associée aux vœux nuptiaux, symbolisant la félicité conjugale à laquelle s’ajoute parfois la puissance vitale.

Joël : Le canard n’est-il pas une sorte de cygne, mais de rang inférieur ?

Jef Safi : Oui et non. On lui accorderait volontiers des symboliques associées au cygne, pour le mâle, ou à l’oie pour la femelle, mais ce n’est pas à un rang inférieur, c’est plutôt d’une manière moins ostentatoire, moins orgueilleuse. Ainsi en est-il de l’élégance, de la noblesse, de la prudence.

Joël : N’est-il pas aussi une sorte de clown ?

Jef Safi : Dans mes images quelques fois oui. Par ses accoutrements et ses attitudes, quand il joue dans l’irrévérence, la moquerie ou le ridicule. Je l’accompagne quelques fois de personnages clownesques, la plupart du temps ce sont des clowns tristes, lugubres, voire sinistres.

Joël : Clownesque ou pas, où est le rapport de l’Arlequin avec notre caneton ?

Jef Safi : Toute la question est là. Si on cherche ce rapport dans les symboliques, il n’y en a pas. Arlequin est ce personnage de la commedia dell’arte au XVIe, ce valet bouffon qui incarne une fusion de l’inconstance et de l’intelligence. L’inconstance sous les formes de l’instabilité, de l’irréverence, de la facétie, de l’espièglerie. L’intelligence sous les formes de la sagacité, de la ruse, de l’habileté, de l’imagination. Il est l’idiosyncrasie personnifiée, le contraire du mouton, le contraire du canard servile. On aurait tort d’assimiler Arlequin à une sorte de canard inadapté dans la mesure où, anticonformiste, il ne se soumet jamais à l’ordre dominant. Arlequin, au contraire, est sur-adapté à son milieu au sens où il est capable d’en infléchir les jeux, en rusant, en brouillant les pistes pour contraindre ce milieu à se ré-organiser en conséquence.

Arlequin est une sorte d’équilibriste entre le héros malgré lui et le bouc-émissaire volontaire. Il y parvient parce que dans la plupart des jeux sociaux il n’y a pas, au fond, de différence entre le héros et le bouc-émissaire. L’un et l’autre sont des marginaux, des atypiques qui s’insurgent contre les consensus mous, qui perturbent les sens communs.

Seule l’histoire, toujours écrite après coup par les vainqueurs, décide de faire de ces révolutionnaires des sauveurs ou des traîtres, des génies ou des crapules, des champions ou des perdants, des libérateurs ou des terroristes, etc. De ce point de vue aussi, Arlequin et le canard sont aux antipodes l’un de l’autre.

Joël : Alors où est le rapport ?

Jef Safi : Revenons sur la personnalité d’Arlequin. Le rapport s’éclairera. Son origine remonte au moins aux fables atellanes qui inspiraient les théatres de la république romaine, un ou deux siècles avant J.C., et qui mettaient en scène des bouffons. Arlecchino est sa résurgence italienne traditionnelle la plus marquante dans l’histoire du théâtre occidental.

Mais on le retrouve dans bien d’autres personnages, bouffon, fou du roi, pitre, clown, baladin, histrion, etc., souvent masqué et/ou accoutré d’habits de patchwork, l’uniforme de celui qui n’en a pas. Il est Scapin chez Molière, Ahmed chez Alain Badiou, en passant par Polichinelle ou Guignol dans les théâtres de marionnettes.

À l’image de son costume bigarré, Arlecchino a autant de maîtres que de tenues et de couleurs vestimentaires, on ne sait jamais quel rôle il joue. Il obéit à tant de maîtres à la fois que le message subliminal est clair : il n’en a aucun. Il n’est pas l’anarchiste, il ne s’exclut pas du jeu social ; il est le libertaire, l’agitateur, le catalyseur des remises en cause, etc.

Joël : En quoi l’habit d’Arlequin est-il important ici ? En particulier comme plumage d’un canard ?

Jef Safi : Tu cherches toujours le rapport ? Son habit est son emblème, son habit de théâtre, son costume, c’est son linéament perceptible identitaire de Phénome au sein du Phénomène, avant le discours (l’idiome), ou sous le discours. C’est un composant essentiel dans les jeux machiniques, les régimes et les agencements d’énonciation du Phénomène, c’est un point d’ancrage, un axe, une référence, une ligne de fuite.

L’habit d’Arlequin est un pattern remarquable qui revient souvent dans l’oeuvre de Deleuze. Il le reprend de Leibniz, le cite à travers William James, etc. Il y revient souvent pour symboliser les disjonctions inclusives, les synthèses disjonctives, les fêlures, les paradoxes, les schizes, les rhizomes, les interstices, les vides entre les pleins.

Joël : Le vide médian du Tao ? Le souffle , la voie ?

Jef Safi : Tu te rapproches. (1) Il faut relire Deleuze interprétant Leibniz dans le Pli, ou (2) reprenant William James dans son cours sur le cinéma. (3) Lire ou relire l’analyse des « relations comme extériorités radicales » par Montebello reprenant l’échange « sur l’empirisme » dans les Dialogues de Deleuze & Parnet. (4) Leibniz lui-même, lumineux dans les Nouveaux Essais, définissant l’emboîtement des germes à l’infini. De mon point de vue, l’habit d’Arlequin apparaît clairement comme unité consistante, à la fois constituée et constituante, comme figure emblématique du linéament de la Monade.

Joël : À travers le prisme de ta ’théorie pataphysique de la Créativité Générale ? Dans ta Monadologie, Arlequin en tant que personnage serait-il l’incarnation du Phénome ou du Phénomène ?

Jef Safi : Tu te rapproches encore. Les deux si on considère que Phénomes et Phénomènes sont des Monades, des unités consistantes, des extériorités radicales constituées de réseaux de relations. Mais Arlecchino lui-même, en personne, est clairement le Phénome qui fait l’expérience de sa puissance hylétique pour modifier son propre linéament perceptible, pour troubler la lecture des autres Phénomes, c’est-à-dire leurs percepts, leurs affects et leurs concepts. Il est l’élément perturbateur du Phénomène, il trouble l’idiome, introduit le bruit qui donne à cet idiome et à ce Phénomène l’opportunité de s’auto-organiser pour persévérer dans son être propre. Il est le pharmakon, poison autant que remède, qui ré-introduit du flux entropique dans le Phénomène qui se scléroserait sans lui. Il est le Phénome créatif en tant que médiateur, vecteur plutôt, du flux stochastique de l’entropie.

Joël : L’essence d’Arlequin est de créer du nouveau ? De déstabiliser l’actuel ? D’entropir les Phénomènes qu’il intègre ? Il incarne la Créativité ?

Jef Safi : Il est savoureux ici de revenir à l’étymologie de son nom. Arlequin en français, Arlecchino en italien, viendrait de « Harlequin » variante de « Hellequin ». « Hellequin » dans la tradition française est un diable. Ce nom serait issu de « Herla-King » en anglais, ou « Erlkönig » en allemand, c’est-à-dire de « roi de l’enfer ».

L’image est claire, au sein du Phénomène Arlequin est le Phénome créatif qui joue le rôle du « roi de l’enfer », le « roi d’Entropie », non pas son maître mais son agent, son ambassadeur, son émissaire. Ce n’est pas une coïncidence, il était naturel d’assimiler ce provocateur au diable, au séditieux, agent de « désordre ».

Dépassons maintenant cette erreur commune qui fait assimiler l’Entropie au désordre ; énonçons comme le fait la ’tCG que l’Entropie est ce double flux énergétique et stochastique immanent, ce foyer de trans-in-formation d’où émergent les Univers.

Seule l’Entropie est pure créativité, seule l’Entropie peut créer du véritablement nouveau, éternellement. Au sein d’un Univers qui émerge, les Phénomes qui se font agents de l’Entropie contribuent réellement à la création de l’Univers, ils actualisent du virtuel, ils créent plus en tout cas que les Phénomes qui se font seulement mémoire des complexions déjà actualisées.Mais il ne faut pas les distinguer plus que cela, la disjonction est inclusive, pour créer les Phénomes créatifs doivent durer, persévérer dans leur être, et donc aussi se faire mémoire d’eux-mêmes.

Joël : Arlequin nous fait encore oublier le canard. Diras-tu enfin quel rapport il y a entre eux ?

Jef Safi : Tu viens toi-même de répondre à la question en la posant de cette manière. Arlecchino porte les habits d’Arlequin, joue l’Arlequin, mais habite le corps du canard. Arlecchino est l’Arlequin qui fait oublier le canard, qui s’efforce de persévérer dans son être-libre en masquant le coin-coin inhibé et soumis, en le déguisant, en le costumant, en le mettant en scène au milieu de ses conjectures ’pictosophiques.

En somme, l’essence d’Arlecchino est de devenir Arlequin, même s’il demeure . . coin-coin en substance. C’est en cela que ce caneton bigarré, schizoïde et sidéré, est l’image ’pictosophique de mon véritable « moi ».

Joël : Le congetture di Arlecchino, ce sont les tiennes ?

Jef Safi : Et réciproquement. Ces congetture sont ces fragments d’intuition que je couds ensemble comme les pièces d’un habit d’Arlequin pour constituer ma ’théorie de la Créativité Générale, ni plus ni moins. Où chaque fragment est lui-même fragmentaire, cousu de propositions d’une Monadologie, etc. Quand je tente d’en former quelques points de vue par des images, alors Arlecchino vient y prendre sa place. Il y impose son propre point de vue, semble orienter le regard qu’on peut avoir sur l’image mais seulement au sens où, en son absence, ce regard serait différent.

Joël : Une forme de maniérisme ?

Jef Safi : Oui, en particulier par les jeux de perspectives et d’échelles. Quelques fois, Arlecchino impose la perspective du monde qu’il habite, quelques fois il la rend paradoxale, etc. Il le fait aussi bien par son regard que par l’absence de celui-ci ; quand j’efface ses yeux pour que son regard apparaisse intérieur par exemple, alors qu’il devient tout extérieur.

J’ai bien cherché à multiplier les postures de sa version joujou en plastique, mais en vain. Ce n’est peut-être pas un hasard. Qu’il ait toujours la même position comme figée, le regard toujours dans la même non-direction un peu à la manière de Mona Lisa, est une contrainte finalement très productive.

Il me suffit de jouer sur la lumière, sur la rotation et la saturation des couleurs, et voilà qu’il semble changer, bouger, nager, cancaner, etc., alors qu’il est toujours absolument le même. L’axe de son regard est fascinant, il peut aussi bien regarder vers l’intérieur que vers l’extérieur du cadre, il suffit de jouer sur la position du corps et l’axe de son regard change alors que son image ne change pas. Cette fixité de posture et de regard ajoute à sa sidération ; finalement cette contrainte participe de l’unité des congetture qu’il habite. Enfin je l’espère, . ./. .

jef Safi

(1) Gilles Deleuze / Le Pli (un critère pour le baroque) : « Il y a un certain temps déjà que s’élabore l’hypothèse d’un Univers infini qui a perdu tout centre aussi bien que toute figure assignable ; mais le propre du Baroque est de lui redonner une unité, par projection, émanant d’un sommet comme point de vue. Il y a longtemps que le monde est traité comme un théâtre de base, songe ou illusion, vêtement d’Arlequin comme dit Leibniz ; mais le propre du Baroque est non pas de tomber dans l’illusion ni d’en sortir, c’est de réaliser quelque chose dans l’illusion même, ou de lui communiquer une présence spirituelle qui redonne à ses pièces et morceaux une unité collective.« 

(2) Gilles Deleuze / Cours Paris 8 sur le cinéma : « La tâche de la pensée, c’est à la lettre de réfléchir l’extériorité, ce n’est plus d’intérioriser. C’est une conception du vrai et du faux complètement différente, c’est un appel à l’extériorité. Mais oui le monde est fait d’extériorité radicale, c’est-à-dire que c’est un ensemble dont les parties sont irréductiblement extérieures les unes aux autres, c’est-à-dire dont les parties ne seront pas totalisables, c’est un monde de pièces et de morceaux. C’est comme dira JAMES : « un manteau d’Arlequin », c’est du bariolage, et bien, entre deux morceaux il y a des relations, et peut-être que les choses, peut-être qu’à la limite, il n’y a pas de termes, il n’y a que des paquets de relations, ce que vous appelez un terme c’est un paquet de relations, voilà.« 

(3) Gilles Deleuze & Claire Parnet (Dialogues, p.69) : « Les relations sont au milieu, et existent comme telles. Cette extériorité des relations, ce n’est pas un principe, c’est une protestation vitale contre les principes. En effet, si l’on y voit quelque chose qui traverse la vie, mais qui répugne à la pensée, alors il faut forcer la pensée à la penser, en faire le point d’hallucination de la pensée, une expérimentation qui fait violence à la pensée. […] Si l’on prend comme fil conducteur, ou comme ligne, cette extériorité des relations », on voit « se déployer morceau par morceau, un monde très étrange, manteau d’Arlequin ou patchwork, fait de pleins et de vides, de blocs et de ruptures, d’attractions et de distractions, de nuances et de brusqueries, de conjonctions et de disjonctions, d’alternances et d’entrelacements, d’additions dont le total n’est jamais fait, de soustractions dont le reste n’est jamais fixé.« 

Pierre Montebello / Deleuze, la passion de la pensée : «  … le EST disparaît au profit d’une théorie des relations au sein du multiple. On pourrait dire que la multiplicité n’est rien d’autre qu’un ensemble de relations dans une pure extériorité, puisque les relations sont biens toujours extérieures aux termes reliés. Deleuze va chercher cette idée dans l’empirisme de Hume : remplacer les principes par les relations entre les idées et les circonstances, substituer le ET au EST, voilà la vraie « protestation vitale contre les principes ». Il ajoute : « Si l’on prend comme fil conducteur, ou comme ligne, cette extériorité des relations », on voit « se déployer morceau par morceau, un monde très étrange, manteau d’Arlequin ou patchwork …« 

(4) Leibniz (Nouveaux Essais, L II, ch. VII, §42) : « c’est … comme Arlequin qu’on voulait dépouiller sur le théâtre, mais on n’en put venir à bout, parce qu’il avait je ne sais combien d’habits les uns sur les autres : quoique ces réplications des corps organiques à l’infini, qui sont dans un animal, ne soient pas si semblables ni si appliquées les unes aux autres, comme des habits, l’artifice de la nature étant d’une tout autre subtilité.« 

Texte et images publiés dans Entropy ≥ Memory ● Creativity ²  par  Jef Safi.