édito 2o2o

Les jeux sont faits . . rien ne va plus

Personne ne peut prévoir ce que sera la situation de l’humanité dans quelques mois ou quelques années. Et pour cause ! Mais tout le monde a compris que la trajectoire suivie sera celle d’un décrochage écologique, économique, anthropologique, sociologique, etc. Celui du nécessaire sevrage énergétique fossile. Celui du silencieux exterminisme malthusien. Etc. Cette trajectoire pourrait s’infléchir en direction des fonds sombres de l’inhumain, d’une régression à l’état de nature, plus ou moins bestial, d’une autre humanité dont nous préfèrerions nier qu’elle fut issue de la nôtre. Qu’on la nomme crise, ou effondrement, ou de tout autre vocable dans l’ordre du collapso-logique, la bifurcation qui s’esquisse est proche et lointaine à la fois, lente et rapide à la fois, progressive et brutale à la fois, évidente et vertigineuse à la fois. Elle est chaotique et déterministe, aussi imprévisible dans ses détails que certaine dans son allure.

Seuls les simples d’esprit passeront à coté en bâillant, entre deux séries TV insipides ou deux pubs affligeantes. Alors, on leur répètera une dernière fois, à la messe ou ailleurs, que « le royaume des cieux leur appartient », et ils souriront béatement. Tant mieux pour eux. Les autres connaissent déjà les affres du deuil, entre pleurer de colère et rire aux larmes, jusqu’à trouver un peu de lucidité et la sérénité de comprendre que nous sommes transcendants en tant qu’espèce, certes, mais non moins dérisoire en tant qu’individu au sein de celle-ci.

Les puissances financières, militaires, géopolitiques, etc., ont envisagé tous les scénarios, celui-là aussi, et depuis des décennies. La globalisation néolibérale, extractiviste, prédatrice, thermo-industrielle, financière, etc., d’abord mue par une entente réjouie quant aux règles de la libre concurrence, est devenue un accord consenti quant aux règles de la compétition sans merci et donc inexorablement un jeu subi quant aux règles de la rivalité sans vergogne, de la cupidité sans pudeur, jusqu’à l’oubli de toute éthique. Usus, Fructus, Abusus est le triptyque hégémonique qui achève déjà d’anéantir celui de nos Liberté, Egalité, Fraternité. Cette économie stupide des consommations pléthoriques de gadgets destinés aux derniers accrocs, est devenue une économie stupéfiante au sens propre. Conduite par la sauvagerie de dealers rivaux et destinée aux derniers illuminés, addicts, mais encore solvables. Les plus démunis quant à eux, spoliés, pillés, déplacés, écrasés, etc., sont d’ores et déjà abandonnés à un sort funeste aux portes mêmes du nid des ballots éblouis.

Les puissances les plus opportunistes tentent d’en tirer un profit individuel dans une partie de poker-menteur qui semble encore réunir quelques empires d’abrutis, sans arbitres, avec des règles de plus en plus tordues, distordues et corrompues. Les plus cyniques savent que la partie est déjà finie. Ils savent que les premiers joueurs qui se retirent en bernant leurs adversaires peuvent limiter leurs pertes, quoique. C’est sous cet angle que sont lisibles les replis identitaires et/ou fascisants, en particulier ceux des créateurs du jeu néolibéral lui-même, à commencer par les anglo-saxons, suivis de près par les neuneux subordonnés retardataires et les nouveaux mercantiles émergents. Ils le font tous, froidement, sur le dos de leurs amis, de leurs alliés, et de leurs propres peuples, évidemment. Sur le dos de qui d’autre ? Pour faire des gagnants dans un jeu à somme nulle, a fortiori à somme négative, il faut faire de plus en plus de perdants . . les rendre invisibles, puis les faire disparaître des écrans, et enfin disparaître tout court.

Algérie, Argentine, Bolivie, Catalogne, Chili, Egypte, Equateur, France, Haïti, Hong-Kong, Irak, Liban, Pérou, Syrie, Tunisie, Vénézuela, . . partout des peuples s’insurgent, quasi simultanément pour quasiment les mêmes raisons économiques, sociologiques, anthropologiques. La fête est finie, les mêmes déterminants poussent à une rupture irrémédiable entre deux stratégies désormais incompatibles, l’intérêt général du plus grand nombre d’une part, les intérêts particuliers des gagnants de la fête d’autre part.

D’un coté, les masses populaires qui réunissent le plus grand nombre sont très divisées, a minima entre les endormis et les insoumis. De l’autre, les puissances gouvernantes, institutionnelles ou économiques et financières, sont plus isolées, mais elles oublient leurs rivalités le temps de réagir contre les forces qui menacent leurs butins et leurs survies. Ces derniers ne partagent rien, au mieux ils font semblant de verdir leurs projets pour faire mine de s’inquiéter de l’intérêt général. Rivaux, mais alliés par intérêt de classe, ils se donnent les moyens de réprimer, de judiciariser, de discréditer les révoltés, et même de manipuler et de compromettre les endormis. Quand ce ne sont pas encore des dictatures, ce sont déjà des démocratures, comme autant de régimes autoritaires, bientôt totalitaires et/ou fascisants.  Entre leur confort résiduel et notre regrettée démocratie, ils ont choisi le sauve-qui-peut et font sécession.

« L’enfer n’est pas chose à venir. S’il y en a un, c’est celui qui est déjà là. Pour ne pas en souffrir, une première solution est simple : on peut l’accepter jusqu’à en devenir une part, jusqu’au point de ne plus le voir. Une seconde plus difficile exige un effort continuel : on peut chercher et savoir reconnaître qui et quoi n’est pas l’enfer au milieu de cet enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »

Italo Calvino – Les villes invisibles )

La situation de la France est semblable. S’y jouent les mêmes conflits entre les deux mêmes stratégies incompossibles ! Les signes avant-coureurs du décrochage systémique se multiplient. La démocratie n’est plus effective, à l’échelle nationale comme européenne, et le temps presse. Qu’est-ce qui n’est pas l’enfer au milieu de cet enfer ? Comment faire de la place à l’égalité et à la fraternité  sans se prosterner au pied de la liberté d’entreprendre n’importe quoi pour en abuser n’importe comment ?

Après des mois d’insurrection des Gilets Jaunes, après des mois de grèves largement soutenues contre la réforme des retraites, la macronie fait moins la démonstration de son incompétence que celle de son entêtement brutal. Pourquoi ? Ils n’ont la possibilité d’être au second tour de 2022 et de le gagner que s’ils consolident leur noyau électoral réactionnaire. S’ils cèdent, ou pire s’ils capitulent, ils devront choisir un autre champion abuseur de crédules. Il ne leur reste que la bourgeoisie, la haute évidemment, bénéficiaire des réformes de structure, ainsi que la moyenne apeurée ou léthargique, en cours de paupérisation mais qui ne s’en rend pas encore compte (ils sont moins sensibles que les plus démunis à la destruction des services publiques et de l’état social et solidaire, pour quelque temps encore).

Néanmoins, même si la macronie s’entête, la probabilité de l’emporter dans ces conditions iniques de la 5ème république sont de plus en plus faibles. Ce sont des champions de la cuisine de Bercy, certes, quoique, mais ce sont des indigents en matière de sociologie, d’anthropologie, d’écologie, etc. Ils en font quotidiennement la démonstration dans cette période de crise sanitaire. Pire peut-être, ce sont des cyniques qui savent parfaitement profiter de leur situation opportuniste pour accompagner les oligarchies dans leur sécession. Le passage en force de la réforme des retraites, le durcissement des droits du travail dans le plan d’urgence sanitaire, etc., sont symptomatiques de cette imposture, tant sur le fond que dans les formes.

Il aura suffi d’un virus, pas plus puissant que tant d’autres, pour révéler les fragilités du château de cartes mondial et pour qu’il s’effondre. Là où il fallait des mois ou des années à la peste ou au choléra pour s’étendre sur cent fois moins d’habitants, il aura suffi de quelques semaines. Nous lui avons ouvert tout grand nos autoroutes maritimes et aériennes. La puissance d’agir de ce virus n’est rien d’autre que la nôtre offerte sur les tarmacs. Dès lors, la réponse impulsionnelle de notre société à l’injection violente de l’intrus va révéler notre puissance de pâtir. En premier lieu, elle révèle les fragilités des systèmes de soins creusées depuis des décennies par les intendants néolibéraux asphyxieurs des puissances publiques. En second lieu, l’énorme machine économique du grand déménagement mercantile à flux tendus se grippe instantanément de même que, dans son sillage, se dégonflent les marchés financiers. Rien n’est plus vulnérable, privé de résilience, qu’un système durci par sa complexité et sa tension extrêmes. Le moindre grain de sable peut le bloquer et même le disloquer, alors que dire de la tempête de sable qui approche. Que la Sainte Croissance du Saint Marché s’écroule n’est pas volé, que les banquiers et leurs traders s’étranglent n’est pas immérité, mais que les peuples subordonnés à la productivité ou rejetés aux marges de la triste fête en meurent, est tragique et criminel.

La finance, en équilibre instable, reste accrochée à sa bulle gonflée de monnaie de singe et de produits dérivés non moins factices. Elle se maintient en apnée grâce à la pression artificielle des banques centrales, que ce soit par injections massives de liquidités, par rachats de dettes irremboursables, ou par toutes autres formes d’instruments corrupteurs savamment titrisés pour demeurer des arnaques absconses. La finance disais-je, dix ans après sa crise des subprimes (dettes irrécouvrables), remise à flots aux frais des contribuables eux-mêmes, sombre de nouveau et criera bientôt de nouveau au secours. Qui osera enfin anéantir les paradis fiscaux et séparer les dépôts légitimes des spéculations nuisibles ? Après avoir sauvé les banques avec les impôts, faudra-t-il sauver les marchés de dettes avec les épargnes ou l’hyper-inflation ?

« (…) Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. (…) » (E. Macron – 12 o3 2o2o)

Est-ce possible ? Le néophyte aurait-il enfin comblé quelques unes de ses lacunes en lisant le programme « L’avenir en commun » de la France Insoumise ? On ne se laissera pas abuser. Comment croire à la sincérité d’une telle profession de foi de la part de notre libertarien jupitérien ? Hier encore, il vendait les bijoux de famille, il rabotait les aides d’état, réduisait l’impôt des fortunés, épuisait les comptes solidaires en réduisant nos cotisations. Voilà qu’il parle de nationalisations (Lesquelles ? A quel prix ? Pour quels copains de la fête ?). Il y a à peine quelques mois, il tabassait, éborgnait, mutilait les riens, les perdants de la compétition libérale, y compris les street-medic, y compris les pompiers en colère, en les toisant de tout son mépris de classe. Voilà qu’il ne tarit plus d’éloges devant l’abnégation des serviteurs de l’état-providence, de la nécessité de sortir les services publics de la logique des marchés, etc. L’heure du bilan viendra, bientôt, et il faudra rendre des comptes.

« Nous saurons que le monde a changé quand ceux qui nous ont mis dans le pétrin seront devant un tribunal – et je ne parle pas d’une simple commission parlementaire. On nous prie de croire que les gens qui ont péché sous les régimes précédents et qui sont toujours là ont fait leur examen de conscience. C’est trop facile ! Il faut en finir avec l’impunité. On doit faire des exemples, avec des peines de prison et des sanctions financières. La société française a besoin de morale, et il n’y a pas de morale sans punition. Ce n’est pas qu’une question de principe. Il existe maintenant un vrai risque d’explosion sociale, parce que les Français savent que leurs dirigeants sont incapables de les protéger. Si l’on accepte encore et toujours un pouvoir qui raconte n’importe quoi grâce à sa maîtrise des moyens de communication et qui s’entête à ne pas régler les problèmes économiques, l’étape suivante ne sera pas une lutte de classes civilisée, mais la guerre civile. » (Emmanuel Todd – L’Express 28 04 2020)

Il y a fort à parier, vu sa réticence à parler de souveraineté nationale au profit d’une hypothétique souveraineté européenne, que la macronie budgètera la restauration promise de notre puissance sanitaire en cédant d’autres bijoux de famille. Par exemple, en cédant ADP au commerce privé  international, ou en cédant aux multinationales de l’énergie dérégulée les concessions de nos barrages hydrauliques. Ou bien ils n’ont rien compris à ce qu’ils disent eux-mêmes, ou bien, et c’est le plus probable, ils entourloupent les crédules en tirant profit de cette opportunité tragique pour servir à leurs amis mafieux les pépites de notre patrimoine commun. Qui peut croire que la macronie renoncera à sa mission néolibérale de privatisation des profits et de nationalisation des pertes ?

Quels citoyens leur feront assez confiance pour leur donner les pleins pouvoirs quand ils durciront encore et encore leur gouvernance ? Combien de temps encore va-t-il falloir pour qu’une majorité agissante comprenne que notre état n’est pas une start-up ? Que nous ne sommes pas des salariés subordonnés au management de DRH en charge de l’intendance des oligarques ? Que nous réservent-ils pour les jours d’après la pandémie ? Oseront-ils l’introduction des dispositions iniques de l’état d’urgence sanitaire dans la loi ordinaire, tout comme leurs alter ego de la droite complexée (ex PS) avaient pérennisé les dispositions de l’état d’urgence anti-terroriste ?

« La nature ne résout pas les problèmes qui finissent par se poser :
elle se débarrasse, dans sa splendide indifférence, de tout ce qui ne marche pas.
 »
Paul Jorion – Le dernier qui s’en va éteint la lumière

Pourquoi attendre la fin de l’épisode ? Il n’aura pas de fin, il n’est que le début d’un autre monde. Ce ne sera pas une simple suspension, fut-ce de quelques mois, il est désormais hautement probable que les conséquences seront multiples, douloureuses et même catastrophiques pendant longtemps, très longtemps, et pour tout le monde. Le seul espoir d’amortir le choc, un temps soit peu, sera de rétablir les valeurs de la république : Liberté, Egalité, Fraternité. Mais pas à la manière de la 5eme république qui n’adule que la seule liberté d’entreprendre, de prospérer et de corrompre, sur le dos de l’égalité et de la fraternité.

Commençons par rompre avec les inégalités intrinsèques du tous-contre-tous néolibéral. Tous ceux qu’on applaudit aujourd’hui quelques minutes à la fenêtre, qu’on prime en heures-sup mal payées, qu’on encense d’hypocrisie sur les podiums médiatiques, ne devront pas être ceux qu’on méprisera et oubliera de nouveau dès que le virus sera vaincu : infirmièr(e)s, aide-soignant(e)s, ambulancier(e)s, caissièr(e)s, pompiers, éboueurs, facteurs, livreurs, maraîchers, artisans, auxiliaires de vie, enseignant(e)s, etc. Ce sont elles et eux les « PREMIERS et PREMIERES DE CORDEE », en charge des fonctions essentielles et vitales qui sont pourtant méprisés et précarisés. C’est tous ceux-là et celles-là qui savent ce qu’il faut faire, quand et comment. C’est à tous ceux-là et celles-là qu’il faut distribuer dès aujourd’hui des salaires élevés et garantir des parachutes dorés pour une juste retraite. Et non pas aux marchands de courants d’air, de gadgets, d’esbroufes, de frimes, de parades grotesques, d’innovations stupides, etc., au prétexte qu’ils dégageraient des profits à même de rassurer les illuminés du Saint-Marché.

Comment sortir grandis de toutes ces incessantes injonctions contradictoires venues de « notre bon maître ». Un monarque manifestement débordé,  perché si haut au-dessus de son seuil d’incompétence, dépourvu de stratégie politique sanitaire conséquente, dépourvu d’un minimum de bon sens pragmatique (espérer atténuer/endiguer à la limite de capacité hospitalière, mais sans tester, est simplement stupide). Un en-haut qui ne pourra pas longtemps encore cacher ses incuries derrière ses pensées magiques néolibérales (attendre les initiatives géniales des généreux investisseurs géniaux, est criminellement laxiste), derrière des habillages démocratiques grotesques de monologues insignifiants (organiser de faux débats pour des votes inutiles, est sciemment despotique), le tout en nous enfumant d’illusions technologiques pour détourner l’attention (promouvoir des applications numériques indigentes, aux algorithmes biaisés de toutes parts, comme autant de bracelets électroniques qui ne peuvent que pister les gens faute de dépister les contagions virales).

Le temps du confinement nous donne une dernière chance de réfléchir à ce qu’on ne veut plus, pour que l’après ne soit pas un comme-avant en pire. Le temps des Gilets Jaunes était déjà un temps de ce type là, le COVID le relance, le prolonge, l’approfondit. Le temps du confinement n’est pas une pénitence ou une punition tombée du ciel, au contraire, il est le temps du bonheur de débattre pour décider d’une bifurcation positive et reconstructrice, sans tristesse ni résignation. Pourquoi faudrait-il choisir entre la santé et l’économie ? Est-ce la vie qui est au service de l’économie ou l’inverse ? Pourquoi y aurait-il là une contradiction, et pour qui ? N’est-il pas nécessaire de la dépasser ?

Le temps presse, cette opportunité  se referme déjà sous la pression du cynisme des profiteurs et de la servilité de leurs subordonnés. Lisez plutôt cette perle néolibérale, de mépris de classe assumé  jusqu’au paternalisme,  voire jusqu’au pastoralisme du bon berger au dessus de son vil troupeau :

« Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses: beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus longtemps cette expérience forcée de décroissance. » (Centre Patronal Suisse, Stratégie de sortie de crise, 15 04 2020)

Une gouvernance d’union nationale est-elle possible avec ses gens là ? Évidemment non. Toutes les alliances sont possibles et souhaitables dès lors qu’elles rompent avec le productivisme-consumérisme néolibéral. Il faut produire-consommer moins et répartir mieux, il faut faciliter la vie des gens du lien et mettre fin aux exactions des profiteurs du n’importe quoi n’importe comment, etc. Une telle alliance est possible et ouverte, mais elle devra être assez déterminée et sincère pour affronter nécessairement et très durement les apôtres du mercantilisme spéculateur globalisé, les propagandistes abrutis de la compétition inégalitariste et exterministe, les fanatiques de la croissance pour la croissance, etc. Ils sont les gagnants du jour, ils ne lâcheront rien sans mordre la plèbe.

« Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du XXe siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’état-providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnéméraires qui encombrent la planète. » (Bruno Latour, philosophe, site AOC)

Dès que le plus dur de la crise sanitaire s’estompera, mais ce sera encore très long et lancinant, viendront les déchirements de la crise sociale, ceux des milliers d’artisans-commerçants à la peine, ceux des millions de chômeurs culpabilisés, ceux des millions d’exclus maltraités. Comment réagiront nos « bons maîtres » quand, plus nombreux et déterminés que jamais, ils enfileront de nouveau leurs gilets jaunes ? Puis gonflera et éclatera la crise financière, celle de l’énorme bulle des dettes privées, extravagantes et spéculatrices, qui aura tenté jusqu’au bout de se cacher derrière les dettes publiques, légitimes et gelables quant à elles. Le tout sur fond des crises géopolitiques qui commencent déjà sur le mode du chacun-pour-soi entre les empires, entre les états autoritaires, mais aussi entre les partenaires d’une Europe qui se disloque toujours plus. Ce n’est pas d’une union nationale pateline de petits-bourgeois imposteurs, ou de stars contrariées et larmoyantes, dont nous aurons besoin demain, mais d’ores et déjà d’un front radicalement écosocialiste, national et international coopératif, loin des xénophobies libérales-fascistes, loin du totalitarisme stato-financier d’extrême-centre, loin des hypocrisies greenwashistes libérales-tartuffes du centre-droit ou de la pseudo-gauche.

La crise du COVID-19 ne fait que commencer, elle est désormais éminemment politique.

Le peuple doit reprendre le contrôle de l’état (l’intérêt général !) à ceux qui l’ont autonomisé à leur profit (extorqué ?).
Le peuple doit affirmer démocratiquement (en VIe république !) une politique sociale solidaire et écologique radicale.

Pourquoi une politique écologique, sociale et démocratique radicale . . en VIe république ?

Parce qu’on sait désormais que notre techno-sphère plonge notre bio-sphère dans le gouffre que d’aucuns nomment maladroitement « anthropocène » ou « capitalocène », et que Bernard Stiegler (ICI et ici) appelle à très juste titre « entropocène » (de la racine « entropie« ). On commence seulement à croire enfin ce que l’on sait, à savoir que l’issue sera rapidement fatale pour l’humanité si notre techno-sphère ne bifurque pas pour la rendre si possible humainement tolérable. Faute de faire un miracle, nous pouvons et devons bifurquer pour au moins amortir les souffrances induites et espérer disparaître dignement plutôt que dans la barbarie. Mais qui veut vraiment trancher dans le vif et mettre un terme au néolibéralisme ? Qui le peut effectivement et alors comment ? Pour répondre, il faut connaître et comprendre la situation atteinte, comprendre qu’elle est irréversible et qu’elle ne se mesure pas en temps mais en degrés. Comprendre qu’elle repose les termes de ce qui doit être l’éthique des soins et des liens !

– Marc Jancovici (2o2o) résume ci-dessous, l’état des lieux en 20 minutes ( de 11:42 à 32:18) : « dans 2 degrés ce sera la barbarie« .  Et la développe en plus de 2h lors d’une conférence à Genève.
– Gaël Giraud
 (2o19) énonce les diverses responsabilités et stratégies élaborées  : « à ce jour aucun pays ne fait quoi que ce soit de pertinent« .
– Emmanuel Todd (2020) analyse « Les luttes de classes en France au XXIe » par les failles de notre pyramide de Ponzi sociale.
– Bernard Stiegler
 (2o2o) montre pourquoi et comment l’humanité doit bifurquer même si c’est là espérer un miracle.
– . . etc.

Nous avons édifié une Tour de Babel de plus en plus tumultueuse, séditieuse, et nous la gérons avec les règles iniques de plus en plus perverses, pernicieuses, de la Pyramide de Ponzi. La république, qui avait vocation à transformer un « tas » en « tout », à cédée la place à l’hégémonie comptable qui s’acharne à transformer ce qui est encore un « tout », en « tas » (*).

Gouverner le statu quo néolibéral, c’est à dire la persistance de ce dispositif gangréné est simple. Coté Babel, disperser, diviser, atomiser sans cesse les corps sociaux. Coté Ponzi, défiscaliser, subventionner, fluidifier sans cesse l’économie des chaînes de valeur qui ne ciblent plus les besoins fondamentaux mais seulement le superflu des clients encore solvables. Il est même devenu souhaitable, pour l’ordolibéralisme, de distinguer jusqu’à l’absurde l’économique du sociétal. La politique néolibérale se fait alors exclusive et normative, politique insupportable. Elle est celle des tableurs et des algorithmes digérateurs de big-data où seuls les affects comptables ont voix au chapitre, politique inhumaine. En  phagocytant les médias et les réseaux, elle est devenue hégémonique, elle sera bientôt totalitaire et réticulaire, en un mot proto-fasciste.

Dans un tel monde disloqué et inégalitaire, les réponses au choc pandémique ne pouvait que révéler les fragilités, les rigidités et, entre les deux, les rouages résilients du dispositif. Le tri effectif entre ce qui craque, ce qui s’endurcit et ce qui s’adapte, ne s’opère pas suivant la morale ou l’éthique, mais bel et bien selon les lois fondamentales de la physique et de la systémique. C’est ainsi que, dans notre Tour de Babel-Ponzi, les murs porteurs se lézardent, quelques uns cèdent, les autres suivront dans quelques mois, au plus dans quelques années. A l’intérieur, les structures délicates se déchirent, les êtres et les entreprises fragiles cèdent, les précarités explosent, le chômage va suivre. Du soit-disant « vivre-ensemble », ne va-t-il rester que le « survivre-ensemble », puis le « survivre chacun-pour-soi », d’abord malgré les autres, puis contre les autres ? Le monde d’après se dessine, il ne sera plus comme avant, certes, mais sera-t-il pire ? C’est-à-dire sauvage, bestial, barbare ?

Il ne s’agit plus d’être optimiste, tel l’imbécile heureux, ou pessimiste, tel l’imbécile malheureux, mais de comprendre. Nous n’avons pas voulu, depuis au moins cinquante ans, gérer une décroissance raisonnée. Dès lors, nous allons devoir la subir sans la contrôler. La partie de Babel-monopoly s’enkyste autour des derniers rentiers patrimoniaux. La partie de Ponzi-poker se réduit aux dernières oligarchies mafieuses. Ne reste-t-il désormais, à la masse des perdants, que le dernier jeu de rôles chaotique et barbare du sauve-qui-peut, du chacun-pour-soi ? N’est-il pas temps de bifurquer, d’établir de nouvelles règles plus éthiques ? Quand bien même serait-il déjà trop tard, ne serait-ce pas au moins plus digne ?

L’économie n’est pas une science autonome qui peut s’abstraire du politique, c’est l’erreur fondamentale de ce néolibéralisme qui a dévoyé ses propres racines libérales jusqu’à l’excès contraire. Le politique doit reprendre la main avec la puissance du démocratique et les orientations de l’écologique. Commençons par notre hexagone. La Ve république achève de se liquéfier dans son potage d’autoritarisme et d’incompétence tout en tentant de mener à terme son projet de destruction de l’état social. Qu’advienne la VIe république du triptych effectif « Liberté, Egalité, Fraternité », c’est-à-dire une démocratie citoyenne souveraine, écosocialiste, sobre et solidaire.

Seul le processus constitutionnel peut permettre à des citoyens, en désaccord total ou partiel quant aux lois organiques, de s’accorder néanmoins a minima sur les règles institutionnelles, c’est-à-dire non pas sur les lois organiques elles-mêmes mais sur les règles d’élaboration de ces lois. Une VIe constitution peut encore permettre de gouverner pacifiquement le dissensus. Il reste encore à s’accorder sur le processus constituant lui-même (quorum, composition, tirage au sort, délais, encadrement juridique, referendum exécutoire, etc.).

Sinon ? Les jeux seront faits . . rien n’ira plus.

(*) formule aussi savoureuse qu’exacte empruntée à Régis Debray.

. ./. .

 jef Safi

Les inserts vidéos ci-dessus sont une sélection des épisodes que nous jugeons significatifs et les analyses que nous estimons pertinentes de la période. Il s’agit d’un point de vue ouvert à la critique i.e. au « débat aussi objectif et raisonné que possible, écartant l’autorité des dogmes, des conventions ou des préjugés, auquel on soumet quelqu’un ou quelque chose pour mieux en appréhender les caractéristiques, y compris un jugement des qualités et des imperfections ». Pour une sélection plus ample et plus profonde et pour ne rien perdre de ce qui vaut d’être lu et entendu (de notre point de vue), vous êtes invités à parcourir les contenus qu’indexe le bloc-note Entropy ≥ Memory * Creativity ² . ./. .