édito 2oo2

… et tu rencontreras le SIMURGH au sommet du mont KAF

Vers 600 av. J.C., Nabuchadnessar-II ordonna l’édification d’une ziggourat assez haute, pour qu’elle ne puisse jamais être engloutie par un nouveau déluge biblique purificateur. Offensé par tant d’orgueil, le Très-Haut jeta tailleurs, sculpteurs et autres charpentiers dans les affres d’une glossolalie générale. Dans ce tohu-bohu linguistique, cananéens, philistins, samaritains, égyptiens et autres assyriens se disputèrent la … maîtrise de l’ouvrage. BABEL s’écroula avant d’être achevée.

Au crépuscule du second millénaire, surpassant d’insolence le roi chaldéen, les hommes nargueront de nouveau le Divin en provoquant eux-mêmes … « le déluge des déluges ». D’un Ether plus fluide que l’eau, d’une trame plus étendue que tous les océans réunis, tendue jusqu’aux cieux par des météores artificielles, ils le baptiseront Arpanet, Usenet, Milnet, puis enfin … INTERNET. Et dans un même élan multiplieront les sobriquets, Big Browser, Cybionte, le Net, la Toile, le Ouaibe, … etc, prouvant qu’ils ne perdront jamais leur goût pour un certain capharnaüm.

L’Eternel n’aura rien à faire pour châtier la vanité sans borne de ces nouveaux navigateurs sans arche dansant une Java sans rythme sur les déferlantes de cet océan sans rivage. Il perpétuera la loi entropique en disant : <<AINSI SOIT-IL !>>. Et le cyber-océan sera ad vitam aeternam … sans fond. Dès lors, sous les crues multimédiatiques se creuseront des abysses syntaxiques et sémantiques où le VERBE s’étiolera dans les entrelacs pléthoriques de l’écheveau hypertextuel.

Il ne sera plus temps d’être pour ou contre, de le vénérer ou de le haïr, moins encore de l’ignorer. La puissance des processeurs doublera tous les 18 mois (loi de MOORE) et l’utilisation des réseaux croîtra exponentiellement avec le nombre de ses noeuds (loi de METCALFE). La nébuleuse enflera et sa force d’attraction sera proportionnelle à sa vitesse de croissance. On se connectera pour survivre. On se référencera pour exister.

En Vérité, en Vérité je te le dis : <<Ce déluge là ne connaîtra jamais de décrue>>.

Réactivité, disponibilité, explosion des capacités des débits et des services, feront de la cyber-information une ressource aussi vitale que l’air et l’eau. Tous les médias convergeront, tôt ou tard, peu ou prou, vers celui-là. Ce sera une révolution industrielle, informationnelle, culturelle, planétaire et permanente.

Apprenti démiurge, l’homme aura créé le NET comme il créa naguère les Dieux : à son image. Il lui aura légué sa puissance créatrice prométhéenne autant que son atavisme babélien indécrotable. Net naîtra et dans son génome seront inscrites côte à côte sa vocation encyclopédique et sa propension schizophrénique. On ne trouvera pas TOUT sur le Net, on trouvera DE TOUT ! L’intarissable cyber-sur-abondance sera lacunaire à jamais, ambiguë et contradictoire pour toujours, périmée ou erronée souvent, délirante ou délétère parfois et d’autant plus taxée que l’information sera pertinente ou prometteuse de plus-values.

Digérant à grand peine le miracle de la multiplication des sites, le Net s’opacifiera. Aucun moteur n’indexera jamais la totalité du Web blanc (20% du Net, la surface). Le Web gris (80% du Net, en profondeur) ne sera accessible qu’au travers de portails qui naîtront et mourront chaque jour. Comment pourra-t-on extraire une information pertinente de cette base de données exubérante et non structurée ?

En Vérité, en Vérité je te le dis : <<Ose trouver, pour savoir ce que tu cherches !>>.

A l’aube du troisième millénaire, toi, homo cybernatus, plus adroit qu’habilis, plus vouté qu’erectus, à peine plus sage que sapiens, tu poursuivras sans fin ta quête existentielle, métaphysique et mystique : trouver du SENS dans l’absurde fatras des apparences. Tes instruments te sauveront, un temps, de la cyber-noyade. Obstiné, tu combattras l’hydre monstrueuse des quatre contrevérités : Mensonge, Erreur, Dissimulation et Illusion.

Victorieux, un jour, tu accosteras les récifs du Mont KAF, ultime émergence terrestre de la Création. Et là, n’atteignant le sommet que pour mieux lâcher prise, tu discerneras, un instant, dans les ramures de l’arbre des Connaissances, … le cri du SIMURGH : l’indice d’une réponse mystérieusement pertinente, en écho à ta requête dérisoire mais, en cet instant, sensée.

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