édito 2oo4
Le PuzZle et l’Agneau
Rien ne sert d’Obéir, d’être sage cOmme l’image, le Puzzle et l’Agneau en sOnt le témOignage.
Laissez-mOi vOus brOder les trames d’une bergerie, Où il n’est de mOrale qu’en bOnne pédagOgie.
Dès printemps bOurgeOnné, mère Brebis fait sa balle, pOur partir pâturer entOurée de sOn mâle.
SubOrdOnné, dOcile, le Bélier Obéit ; cartésien du nOn-sens, quOi qu’il pense, dOnc il suit.
Partant pOur tOut l’été, peu friande d’être inquiète, elle assure ses arrières, sans encOmbre de layettes.
AbandOnne l’Agneau, lui cOnfie le ménage, un peu d’eau, trOp n’en faut, un tOurteau de fOurrage.
« Il me faut l’Occuper, le parquer dans sOn cOin, qu’il nOus fOute la paix et ne rOnge que sOn frein.
Il lui faut une tâche qui lui prenne la tête, que le bestiau file dOux, n’aille pOint cOnter fleurette. »
Elle cherche un stratagème qui ne cOûte un écOt, emprunte au vieux Berger sOn jeu de sOlitaire,
Un puzzle défraîchi qu’elle disperse par terre, subtilise quelques pièces et sermOnne l’Agneau.
« Qu’est-ce dOnc que cette pagaille ? COmment se fier à tOi. À peine je suis partie, déjà tu me déçOis ?
RecOnstruis cette image avant nOtre retOur, sans faute, Ou le Berger ira te vendre au bOurg.
Ne fais pas le gOret, ne salis pas ta laine, tu te la laveras, la carderas tOi-même.
Mets chaque pièce en place, sans cOrner les arêtes. SOis digne d’un mOutOn, gentil, dOcile et .. bête. »
Silence et sOlitude envahissent les lieux. L’Agneau renifle, grelOtte, angOissé et hOnteux,
Tout aussi dislOqué que le puzZle miteux, cherche en lui le bélier, trOuve le canard bOiteux.
Du fOnd de ses viscères explOse sa cOlère : « Ma laine est-elle trOp nOire pOur aller paître au vert ?
Que me frappe l’OpprObre ! Que me pOussent cinq pattes ! ». De sOn sabOt crOtté, envOie valser la bOîte.
Un des mOrceaux bringuebale, rebOndit de travers, s’envOle un temps planant, s’entOupille dans les airs,
TOurnicOte sur l’endrOit, gigOte sur l’envers et atterrit – hasard ? – embOîté à un frère.
Stupéfait et chanceux, l’Agneau de se cOmplaire plus aidé du hasard qu’il ne l’est de compères.
CrOyant en sa fOrtune, vOit la chOse tÔt finie, quand du fOnd de la bOîte une vOix le supplie.
« Je t’en cOnjure l’Agneau, ne va pas me refaire. Sais-tu cOmme il me lasse, cOmbien il m’exaspère ?
Ce tableau du navire d’Où Panurge s’encanaille à pOusser le marchand et ses bêtes à la baille.
N’as-tu pas d’autre envie ? N’as-tu d’autre ambitiOn, que ruminer d’un autre sOn reste de pOrtiOn ?
N’as-tu pOint de passiOns à laisser débOrder, d’envies d’imprOviser, d’inventer, de créer ?
Ce n’est pOint privilège du pinceau d’un génie, que de jeter des lignes, des cOurbes et des pigments.
Je n’ai tOutes les encres, je n’ai tOutes les fOrmes, mais va l’Agneau prends-mOi, explOre nOs tOurments.
COncentre les instincts de tOus les caprinés, sOis chamOis, bOuquetin, deviens grand bœuf musqué,
TransfOrme tes frayeurs, tes phObies, tes paniques, en manne de talents, en cascade d’idées.
DécOmpOse, recOmpOse, Oublie nOrmes et règles, usages et cOnventiOns sOnt entraves et bâillOns.
Entrelace mille milliards de cOnfiguratiOns, cristallines, fractales, hOlOphOtOgraphiques,
Tu n’auras de limite qu’en imaginatiOn, tOut dans tOut jaillira kaléidOscOpique.
Je ne suis plus Puzzle, ne sOis plus un mOutOn. Je serai AphrOdite, tu seras PygmaliOn. »
Et l’Agneau de s’enfuir explOrer arts et sciences, pOur tisser nOn sans peur les puzzles de sa vie.
COmpatissOns plutÔt au sOrt du plus dOcile, celui qui, quOi qu’il pense, Obtempère, s’interdit.
Le tragique de sOn lOt n’est pas tant ce qu’il sert que les mOments qu’il rate, les OccasiOns qu’il perd.
Chaque fOis qu’il se dérObe, s’efface, s’Oblitère, le Bélier manque l’heur de partager en pair.
Jef de la Fontaine
PostScriptum :
L’Honnête-Homme(*) manque de discernement, c’est indéniable, mais il sait qu’une fable s’entend au-delà de l’anecdote, dans sa « substantificque mouelle, hors l’offence de Dieu et du Roy » (François RABELAIS, docteur en Medicine). Comme toutes les fables, celle-ci se veut offrir un kaléidoscope que l’Honnête-Homme aura grand tort d’interpréter par trop hâtivement car, comme tous les kaléidoscopes, celui-ci ne montre que ce que l’Honnête-Homme s’y voit réfléchir.
L’Honnête-Homme manque de discernement, c’est indéniable ; mais il sait qu’une telle lecture est plurielle, se décompose, se recompose, se transpose, jamais ne se repose. Dans toutes les bergeries, foyer, entreprise, église, parti, village, l’Honnête-Homme sait qu’il peut jouer tous les rôles. Un jour ou un autre, celui de l’agnelle ou de l’agneau, candide, naïf et vulnérable. Un jour ou un autre, celui du craintif qui cache ses démissions derrière ses dociles soumissions. Un jour ou un autre, celui du despote qui abuse de son pouvoir pour satisfaire son bon plaisir.
L’Honnête-Homme manque de discernement, c’est indéniable, mais il sait qu’il peut se frotter les yeux pour sécher ses larmes et explorer toutes les facettes de son kaléidoscope, toutes. Un jour ou un autre, il peut y discerner l’Etoile du Berger : une lueur de compréhension, de compassion, voire de pardon, que ce soit pour le demander ou pour l’accorder.
Prêchi-prêcha ? Que nenni, je ne suis plus de ce troupeau-là !
Postscriptum d’Honnête-Homme ? Autant que discerner se peut !
(*) homme ou femme « honnête », du latin honestus : « honorable ».